Zohra est une de ces jeunes mamans sui ont fleuri dans les jardins de cette société impitoyable, pour reprendre son expression. Après de longues tentatives, nous avons fini par convaincre Zohra de nous raconter son histoire et de nous faire part de la situation de la mère célibataire, telle qu’elle est vécue au Maroc avec, à l’horizon de 2016, les réformes constitutionnelles, celles du Code de la Famille ainsi que de plusieurs autres droits de l’homme revendiqués dans ce secteur.
Avec des yeux distraits et hésitants, Zohra nous relate sa mésaventure dont le périple a commencé avec une histoire d’amour foudroyante vécue avec son voisin alors qu’elle n’avait pas encore quitté la fraîcheur innocente de son habit d’enfance et qui s’est terminé avec une défloration, une grossesse précoce et un enfant aujourd’hui âgé d’une année.
Les regards enfoncés dans le sol comme si elle avait commis un quelconque crime ou un meurtre inavouable et s’efforçant de dissimuler sous un sourire malheureux son regret et son amère douleur, Zohra nous confie son drame en disant : « N’ayant pas encore bouclé mes quinze ans, je ne réalisais pas alors ce qui m’attendais après avoir sacrifié, sans le vouloir, mes rêves d’enfant et mes projets de devenir institutrice ou médecin, quand je serais grande… C’était une erreur d’adolescence : du jour au lendemain, je suis tombée dans les bras d’un monstre humain qui a violé mon enfance après m’avoir promis le mariage. Je suis partie avec lui dans plusieurs régions dans l’espoir de voir venir le jour où je porterais enfin la robe blanche et où je monterais à bord du carrosse nuptial accompagnée de mon mari ou, devrais-je dire plutôt, de mon violeur qui a abusé de mon jeune corps cinq années durant. Je ne sais quoi vous dire… ».
Parlant timidement et s’efforçant de se remémorer certains détails, Zohra pousse un long soupir avant de poursuivre : « Je ne vous cache pas que je me sens être la femme la plus malheureuse sur cette terre, une femme psychologiquement en ruines, mentalement en miettes, un corps sans âme… Nerveuse et hostile, je suis repliée sur moi-même et colérique pour la moindre raison… Après que l’un d’entre eux a piétiné mon enfance que je n’ai pas eu le temps de savourer, je voue désormais une haine sans merci pour tous les hommes… J’avais cru ses mensonges… J’ai essayé pourtant de retrouver mes forces et de m’adapter à ma triste réalité mais la déception était trop profonde pour que je puisse m’y adapter ».
C’est ainsi que nous parlait Zohra : avec un petit visage décomposé de chagrin et de regret, comme si elle souhaitait pouvoir remonter le temps et réparer ses anciennes erreurs, surtout qu’elle a été mise à la porte par sa famille sous prétexte qu’elle allait leur apporter la honte et les commérages.
Poursuivant son récit, Zohra ajoute : « Ma famille m’a mise à la porte quand elle a su que j’étais enceinte. Cela faisait cinq moi je portais "Osmane" dans mes entrailles… J’ai erré dans les rues et voyagé de ville en ville… J’ai travaillé à la plonge et j’ai lavé les sols des cafés pour vivre… De temps en temps, les gens me prenaient en pitié avec des regards remplis d’interrogations et de questions ; beaucoup d’entre eux me harcelaient de leurs yeux méprisants… Lorsque j’ai mis au monde mon fils grâce à l’aide d’une âme charitable, j’ai pensé mille fois l’abandonner à l’entrée d’une mosquée ou à l’hôpital ou n’importe où… Mais je n’ai pas trouvé le courage, ou, plutôt, j’ai renoncé n’ayant pas eu le cœur à faire cela de mon enfant. Et j’ai décidé de l’élever… Puis j’ai entendu parler de l’Association de Solidarité Féminine envers les Mères Célibataires qui m’a apporté beaucoup d’aide et de soutien et me-voilà aujourd’hui beaucoup plus forte qu’avant, en attendant que la loi soit plus équitable envers moi… ».
Par ailleurs, nombre d’associations actives dans le domaine des droits de l’homme se sont spécialisées dans la défense de cette catégorie importante de femmes. A leur tête, les associations Equité et Solidarité Féminine ont brisé les tabous pour aborder haut et fort le sujet et tirer la sonnette d’alarme sur la situation dramatique des mères célibataires dont le nombre ne cesse d’augmenter. En effet, selon les dernières statistiques réalisées par l’une de ces associations, ce nombre a atteint les 215346 mères célibataires.
Aicha Echenna, qui a remporté le prix international OPUS pour l’œuvre la plus humanitaire au monde et qui est aussi présidente de l’association Solidarité Féminine affirme : « La mère célibataire vit rejetée par la société marocaine et c’est la raison pour laquelle son sort et celui de son bébé sont exposés à l’incertitude dans la rue. Certaines d’entre elles se trouvent poussées à jeter l’enfant à la poubelle, ou à l’abandonner dans un jardin public ou aux portes d’un hôpital ou d’une mosquée… D’autres en arrivent à l’étrangler pour fuir la honte et le scandale. Notre objectif est de briser la barrière du silence qui pèse sur ce phénomène et qui ne fait qu’en accentuer la propagation en entravant les efforts consentis par les institutions en vue de trouver des solutions, de venir en aide aux victimes et de réintégrer ces femmes dans la vie sociale. Nous essayons de jouer notre rôle en contribuant à leur formation, à leur réinsertion, à leur apprentissage et à leur défense afin qu’elles aient les moyens nécessaires de se réintégrer dans la société. Le reste des revendications relève des responsabilités de l’état ».
Suite à de nombreuses revendications faites par les associations qui défendent la cause des mères célibataires, la loi marocaine commence enfin à faire quelques pas vers elles, en particulier grâce à la réforme du Code de la Famille. L’un de ces pas est la suppression du qualificatif « bâtard » qui remplissait la case réservée au nom du père dans la carte d’identité. En effet, il est désormais possible pour les pères de reconnaître leur paternité de l’enfant sans aucune obligation de mariage ni nulle autre responsabilité.
Officiellement, le Maroc incrimine les relations sexuelles en dehors de l’institution matrimoniale. Pourtant, le nombre des mères célibataires ne cesse d’augmenter. En même temps, l’avortement est interdit, ce qui met le pays en situation bien délicate, surtout que, selon les dernières statistiques, près de 150 enfants naissent chaque jour en dehors des liens du mariage.
Contactée par téléphone, Madame Bessima Hakkaoui, Ministre de la Femme et de la Solidarité a répondu à notre question portant sur les mesures entreprises en vue de cerner ce phénomène et d’améliorer la situation de la mère célibataire. Elle affirme en effet : « Le gouvernement réfléchit activement aux moyens d’améliorer la situation des mères célibataires en mettant sur pied des procédures qui permettent à leurs enfants d’avoir un parcours de vie régulier comme par exemple le droit de s’inscrire avec un triple Nom de famille dans les registres de l’état civil. D’ailleurs, le Ministère de la Femme et de la Solidarité ainsi que le Ministère de l’Intérieur travaillent d’arrache-pied sur cette question de nom de famille qui représente un obstacle detaille dans le parcours de nombreux enfants. De même, le gouvernement réfléchit à des mécanismes et à des méthodes qui permettraient aux mères célibataires d’aller outre la précarité comme éventuellement la possibilité de réserver une prime ou des programmes à cette fin ».