Des pas et un chemin. Le chemin de l’école. Au village de Tassoussfi, commune de Taliouine, au Sud du Maroc, garçons et filles se dirigent, chaque matin, vers l’école. Dans cette contrée de la région du Souss Massa Tata, les enfants du village peuvent apprendre, rêver d’un lendemain meilleur, et se construire un avenir à petits pas. L’établissement primaire construit, depuis des années au sein du village, permet aux petits de caresser le rêve d’étudier et d’allonger, un jour, le pas pour franchir le pont qui mène vers le collège, situé dans la ville de Taliouine. Un rêve réalisable pour les garçons ! Chimère pour les filles !
« Je travaille dans cette école primaire, depuis des années. Filles et garçons suivent leurs cours normalement, ici. Cependant, l’abandon scolaire commence lors du passage au collège. Les filles sont les plus touchées. Les pères acceptent difficilement de les laisser sortir du village même pour étudier», souligne amèrement Hicham Ghachi, un enseignant de l’école. « Nous avons longuement milité pour les faire changer d’avis mais un incident, qui s’est produit il y a quelques années, nous a compliqué notre mission », explique-t-il.
Ici, se dressent, un pont, une grossesse hors mariage et une mentalité ! Ici, le pont qui mène les jeunes filles vers le collège s’est effondré ! L’histoire avait commencé il y a de cela quelques années.
« Nous avions eu une élève brillante à l’école. Après obtention de son certificat du primaire, le père a rejeté en bloc son envie de continuer ses études et d’aller s’installer dans l’internat. Seule solution pour les enfants de ce village et des villages voisins. Elle est venue nous voir et nous sommes parvenus, après moult négociations, à le convaincre. Le drame arriva deux ans après. La jeune fille est tombée enceinte. Les parents n’ont eu vent de la grossesse qu’au sixième mois », raconte ce jeune enseignant, avec un air embarrassé.
Bassima garda l’enfant et ne révéla jamais l’identité du père ni les circonstances de cette grossesse.
« Cette affaire a convaincu les parents de la véracité de leurs peurs. Et depuis, rares sont ceux qui acceptent de laisser leurs filles partir étudier en ville. Ceux qui acceptent le font parce qu’ils ont un membre de la famille habitant là-bas et pouvant veiller sur l’adolescente. Il est difficile de faire comprendre aux familles que leurs filles seront des proies faciles et facilement manipulables tant qu’elles restent enfermées et n’ont aucune idée de la vie en dehors du village», poursuit l’instituteur.
Selon notre interlocuteur, le problème de la déperdition scolaire des filles en milieu rural est certes un problème de mentalité et de stéréotypes mais c’est loin d’être l’unique raison. « La construction d’un collège dans une zone à mi-chemin entre les différents villages aurait pu être une solution. Cela aurait permis aux garçons et aux filles de poursuivre leur scolarité tout en restant chez eux », poursuit Hicham Ghachi.
Par ailleurs, précise-t-il, l’internat ne peut pas accueillir un aussi grand nombre d’élèves. L’internat assure déjà le triple de sa capacité en hébergement. Les élèves dorment entassés par terre. En plus, les parents n’ont souvent pas les moyens pour financer les études de leurs enfants, nous ajoute-t-il résigné.
Si le rêve de Bassima et des autres filles du village a été avorté, en partie, par une grossesse hors mariage, celui de Khadija l’a également été et même sans grossesse !
« J’ai eu une assez bonne élève en sixième. Après l’obtention de son certificat d’étude, son père lui interdit de continuer ses études au collège. Elle est venue me voir et j’ai tenté à maintes reprises de rencontrer le père de la jeune fille pour essayer de le convaincre mais c’était peine perdue », raconte Farah, enseignante, dans une école primaire située dans une commune urbaine d’Inzegane.
Selon cette enseignante, le père de Khadija est convaincu que la place d’une fille est au foyer. Les études primaires lui permettent de lire et d’écrire et c’est déjà beaucoup, selon lui. Ce qui n’est même pas le cas. « L’image de Khadija restera à jamais gravée dans ma mémoire. Elle est par ailleurs souvent revenue pour demander l’autorisation d’assister aux cours de la sixième. Elle refait les mêmes cours qu’elle avait déjà suivis pour ne pas perdre le fil », relate-l’institutrice attristée.
Mais, il n’y a pas que cela au Maroc. Sur une autre contrée marocaine, l’espoir s’est installé. Voir des filles finir leurs études ne fait plus partie de l’impossible. La résistance des parents a commencé à fléchir après la création de plusieurs coopératives de production d’huile d’argan, dans la vallée de Msguina, située à quelques kilomètres de la ville d’Agadir. Les femmes sont arrivées peu à peu à se défaire du joug de la tradition imposant à la gente féminine un modèle traditionnel de vie.
« Au début, les hommes de la famille étaient catégoriquement opposés à notre travail à l’extérieur de la maison. Ce fut une longue série de négociations et de bras de fer. Et ce fut en même temps une brêche pour le problème de la scolarisation des filles », souligne Fadma, membre d’une coopérative.
« Quand ma mère et moi avions commencé à travailler à la coopérative et à gagner de quoi subvenir aux besoins de notre famille, notre situation a changé. Épaulée par ma mère et mes deux sœurs qui se sont jointes à nous dans la coopérative, j’ai pris la décision de donner à ma fille une autre vie » annonce-elle fièrement.
« Nous n’avons pas de collège dans notre douar et malgré cela j’ai encouragé ma petite à sortir du village et à s’installer dans un internat pour filles au collège. Elle est brillante. Et je sais qu’elle aura une meilleure vie. Celle que je n’ai pas eue l’occasion d’avoir. D’autres mères ont également encouragé leurs filles à finir leurs études. Notre pouvoir économique nous a permis d’avoir un mot à dire et de faire pression. Les femmes de notre coopérative bénéficient de cours d’alphabétisation tout au long de la semaine, après le travail», explique-elle.
Sur les trois générations de femmes, de la même famille, Hanane est la première à aller à l’école. Chaque dimanche après-midi, elle reprend le chemin du collège, après une visite furtive aux parents, pour réaliser son rêve et celui de sa famille.
Au Maroc, les efforts se multiplient pour encourager l’enseignement des enfants et plus précisément des jeunes filles dans les zones rurales. A noter dans ce cadre et à titre d’exemple le programme de distribution d’un million de cartables, le programme « Tayssir » ainsi que la distribution de vélos. Pourtant, l’abandon scolaire reste un handicap majeur pour le développement du pays.
Pour rappel, et selon l’édition 2016 du rapport sur le budget, les résultats tenant compte de l’aspect genre montrent que le niveau national de l’indice de parité entre les sexes (IPS) dans l’enseignement primaire public, est passé de 0,84 en 2000-2001 à 0,90 (90 filles scolarisées contre 100 garçons scolarisés) en 2014-2015, soit une augmentation de six points.
En milieu rural, cet indice est passé de 0,76 à 0,89 (89 filles scolarisées contre 100 garçons scolarisés), soit une progression de 13 points entre 2000-2001 et 2014-2015.
Au niveau de l’enseignement secondaire collégial, l’IPS public est passé, au cours de la même période, de 0,75 à 0,81, soit une hausse de six points de pourcentage. Dans les zones rurales, cet indicateur est passé de 0,42 à 0,64 avec une augmentation significative de 22 points entre 2000-2001 et 2014-2015.
L’IPS relatif à l’enseignement secondaire qualifiant public est passé, pour sa part, de 0,85 en 2000-2001 à 0,92 en 2014-2015 au niveau national, soit une augmentation de sept points.
En milieu rural, cet indice a évolué de 0,48 à 0,68, enregistrant une hausse de 20 points entre 2000-2001 et 2014-2015.
Ceci dit, le même rapport fait ressortir que le taux d’abandon au primaire demeure élevé́ chez les filles, il s’est établi à 4% durant l’année scolaire 2014-2015. Au secondaire collégial, ce taux a affiché un accroissement passant de 7,6% pour les filles en 2012-2013 à 10,4% en 2014-2015.
Pour ce qui est du droit à l’alphabétisation, le Maroc a adopté, depuis 2014, une feuille de route d’alphabétisation qui s’étale sur la période 2014-2020. Conformément à cette stratégie, des programmes diversifiés ont été́ mis en place selon les spécificités des groupes cibles.
En dépit des avancées, les femmes demeurent les plus touchées par l’analphabétisme avec un taux situé, en 2014, à 41,9% contre 22,1% pour les hommes.