Dès qu’une voiture s’arrête, ces femmes se ruent sur elle par dizaines, dans l’espoir d’arracher ne serait ce que quelques heures de travail en tant qu’aide ménagère, pour gagner quelques Dirhams qui leurs évitent de faire la manche.
Elles sont des « aides ménagères à la demande » ou des « ouvrières du parc » comme les gens de Tanger aiment bien les appeler…Ces femmes quittent leurs chambres minuscules et leurs enfants pour nettoyer des maisons qui ne sont pas les leurs et s’occuper des enfants des autres. On les reconnaît aisément à travers leurs traits mélancoliques et l’expression grave de leurs visages…
Pour elles, tous les jours et tous les mois se ressemblent… La Journée Internationale de la Femme n’est nullement le 8 mars pour elles mais celle où elles décrochent un client fortuné offrant un travail pas trop fatigant. Par contre, la pire journée ne peut être que celle où elles rentrent bredouilles, sans le sou… comme le dit si bien Amina, cette jeune femme à la fin de la trentaine.
Au milieu de ce « combat » autour d’un éventuel client, Amina a choisi de rester à l’écart, dans un coin du parc. Epuisée, amaigrie et cachant à peine la souffrance incrustée sur son visage, elle repose sa tête sur ses genoux, en essayant d’esquiver les gouttelettes de pluie. Elle raconte son calvaire avec un mélange de peine et d’amertume : « mon mari m’a quittée il y a deux ans…
Depuis, j’élève seule mes enfants ». Et d’ajouter, en pleurant, qu’elle ne sait rien faire d’autre que de rester là, à attendre un « chasseur » d’aides ménagères qui ne viendra peut être jamais. Originaire de la ville de Machraâ Belqsiri situé au centre du Royaume, Amina se trouve obligée de faire des tâches dures pour quelques sous ne couvrant même pas ses besoins élémentaires, encore moins ceux de ses deux enfants. Pourtant le plus dur, c’est le regard de la société, outre le harcèlement de tous genres qu’elle subit au quotidien et qui la blesse au plus profond d’elle-même.
Fatiha, elle, est plus optimiste. Elle affirme que cette parenthèse douloureuse n’est, pour elle, qu’une période transitoire lui permettant d’avoir un pied à terre à Tanger, après son exode de la ville de Sidi Kassem au centre ouest du Maroc, en compagnie de ses trois enfants, suite à son divorce.
Fatiha ajoute qu’après une longue quête de travail, elle s’est résignée à prendre place avec les autres « aides ménagères à la demande » dans ce parc de Tanger. Ses enfants, c’est à une voisine qu’elle les confie quotidiennement, avant de partir à la recherche d’un travail non garanti, bravant les innombrables disputes avec les autres candidates dans une véritable guerre au client. Des disputes qui dégénèrent assez souvent et nécessitent l’intervention des passants ou parfois même la police.
A ce propos, Hanène Ben Romdhane, présidente de l’association de soutien aux femmes en difficulté dans la région du Nord, affirme que les femmes travaillant dans ce domaine, divorcées, veuves ou mères célibataires pour la plupart, endurent de longues heures de travail pour garantir un semblant de vie digne.
Hanène met l’accent sur la nécessité de faire la lumière sur les difficultés qu’endure cette frange de la société, de consolider l’arsenal juridique en mesure d’encadrer leur travail et garantir leurs droits, ainsi que d’intervenir pour mobiliser la société quant au calvaire des femmes en situation de difficulté.
Mme Ben Romdhane ajoute que la réinsertion de ces femmes figure parmi les requêtes les plus primordiales de l’association, compte tenu du rôle qu’elles jouent dans la société, ce qui leur permettra de recouvrer leurs droits et contribuera à assainir le domaine de toutes celles pouvant nuire à la réputation des autres.
Il faut dire que ces aides ménagères ne sont jamais à l’abri d’accusations de prostitution voilée ou d’occupation illégale de l’espace public, ce qui a poussé les riverains, convaincus que l’endroit s’est transformé en sorte de couverture pour un autre genre d’ouvrières, à appeler à interdire aux femmes de s’y installer.
Pour sa part, Mohamed Samir Brouhou, conseiller au Conseil du Nord affirme que le phénomène de la prostitution voilée entrave toute réhabilitation de ces endroits ce qui nécessite l’intervention des autorités pour interdire aux femmes d’y prendre place.
M. Brouhou ajoute que l’intervention des autorités pour assurer la protection des lieux est indispensable afin de préserver la beauté de ces espaces, seules sources d’air pur pour les citoyens, compte tenu de la rareté des espaces verts dans les milieux urbains au Maroc.
Entre-temps, les femmes du parc demeurent livrées à elles-mêmes, salies par les accusations de prostitution voilée, et écrasées par les conditions de vie, dans l’attente d’initiatives de la part de telle ou telle organisation non gouvernementale. Les décideurs, eux, s’en moquent …