Thouraya Omri, présidente de l’association féministe « Al intilaka », affirme à ce propos : « depuis la création de la radio et télévision marocaines, l’égalité homme-femme n’a, pratiquement, jamais été respectée notamment dans les émissions politiques et économiques où l’animateur est toujours un homme, alors que les femmes sont reléguées aux émissions de divertissement et aux news ». Et d’ajouter : « Les émissions sérieuses sont, majoritairement, présentées par des hommes… C’est ainsi qu’on nourrit l’image stéréotypée de la femme ne pouvant débattre que de sujets futiles tels la beauté, la cuisine ou la décoration ».
Mme. Omri affirme que la non égalité entre les sexes se traduit, notamment, par l’absence des femmes des postes de direction dans le secteur des médias-il n’y a quasiment pas de directrices et les cheffes de services sont très rares- ce qui nuit, considérablement, à la représentativité des femmes. « Ceci ne manque pas de fausser la perception de la société, puisque que les médias jouent un rôle important dans la propagation des valeurs des droits de l’Homme notamment ceux des femmes. C’est en suivant, peut être inconsciemment, le modèle consacré par les médias que la société a du mal à voir des femmes à la tête de ministères ou de partis politiques » note-t-elle.
Pour remédier à ce problème, Thouraya Omri appelle à activer les articles de la constitution de 2011, notamment l’article 19 sur la parité, et à œuvrer à ce que des lois en ce sens voient le jour, pour permettre à la femme d’accéder aux postes de décision. « Les médias publics, à l’instar de l’enseignement et de la famille, constituent un outil pédagogique pour sensibiliser les citoyens quant à l’importance de l’égalité des sexes » conclut-elle.
Pour sa part, Zahia Amoumou, avocate au barreau de Casablanca et membre de l’association marocaine des droits des femmes, considère que l’égalité homme-femme est une affaire de taille, pourtant absente des axes de préoccupation des médias publics, au niveau des émissions radiophoniques et télévisées. « Est-ce qu’il s’agit de manque d’intérêt ou d’ignorance ? » s’interroge-t-elle, s’indignant quant à l’absence de tout programme télévisé dédié à ce problème, hormis la couverture annuelle effectuée à l’occasion des journées nationale et internationale de la femme. Zahia Amamou appelle à la nécessité de former les journalistes, ce qui se reflètera positivement sur la nature des programmes, sur la présence des femmes dans les postes de décision et sur l’enracinement de la culture de l’égalité.
De son côté, Rihab Hanène, journaliste et membre du bureau politique de l’Union socialiste des forces populaires (parti d’opposition), considère que les médias traitent la femme d’une manière plutôt sélective et stéréotypée. « C’est un rapport figé et réactionnaire qui nous renvoie à la période pré-constitution 2011 » explique-t-elle, notant que la femme est souvent soit associée aux émissions de cuisine, soit présentée en tant que victime de toutes sortes de violences.
Tous ces témoignages attestent, sans le moindre doute, de la nécessité d’ancrer la culture d’égalité dans les milieux médiatiques, au moment où la communauté internationale inclut, depuis 2015, l’affaire de l’égalité homme-femme aux objectifs du développement durable, dans un contexte de synchronisation entre les efforts de développement sur les plans national et international et le droit international en matière de droits de l’Homme.
Boutheïna Karoui, vice-présidente de la commission de la parité et de l’égalité des chances au sein du Parti de la justice et du développement, actuellement au pouvoir, note que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) stipule dans les articles 3 et 4 que la parité figure parmi les mesures urgentes et provisoires visant à accélérer le processus égalitaire. Boutheina Karoui considère, toutefois, que la bataille juridique demeure insuffisante et que la lutte pour l’égalité devrait s’ouvrir sur les aspects culturels et sociétaux pour réaliser le changement souhaité.
Nadia Makhzoumi, de la délégation ministérielle chargée des droits de l’Homme, met l’accent, quant à elle, sur la nécessité de l’intégration des différents partenaires, dont la société civile, dans la consécration des principes de la constitution de 2011. « Il faut renforcer les capacités de tous les acteurs afin de booster leur rendement en la matière… Il faut également former les journalistes à ce sujet pour garantir une approche médiatique efficace » estime-t-elle.
Notons que le Centre marocain pour les études et les recherches sur les droits de l’Homme a donné, à l’occasion de la célébration de la Journée internationale de la femme, le coup d’envoi à un atelier de formation sur l’enracinement du principe d’égalité homme-femme dans le secteur médiatique. M. Ali krimi, président du dit centre, affirme à ce propos que l’atelier de formation fait partie de tout un projet ambitieux effectué en 2016 en partenariat avec la Délégation ministérielle chargée des droits de l’Homme, ajoutant que le projet se répartit sur cinq activités couronnées par une étude académique incluant toutes les initiatives précédentes. Malgré la multitude des études effectuées à ce propos, notre interlocuteur dénonce l’absence de synchronisation entre-elles. « La coordination des efforts et des études est en mesure de réaliser les objectifs requis en la matière, conformément aux engagements du Maroc quant à la CEDAW et autres conventions internationales sur les droits de l’Homme.
Les rapports du Maroc avec la CEDAW sont passés du stade de l’entérinement sous réserves (1993), à l’étape de la levée partielle des réserves (2011), pour arriver enfin à l’entérinement du protocole facultatif annexée à la Convention (2015). Ce dernier pas constitue un véritable saut en avant, puisque le Maroc reconnait le droit de la commission de la CEDAW à recevoir les plaintes des citoyens des pays signataires, se considérant victimes d’une quelconque violation de leurs droits garantis par la Convention. La commission de la CEDAW peut même désigner un ou plusieurs de ses membres pour mener l’enquête, dans les pays concernés, si nécessaire.