Parmi ceux-là, Ain Nehala, dans la wilaya de Tlemcen, le premier, en 1974, à avoir été inauguré, en grandes pompes, par les hauts responsables de l’Etat.
42 ans plus tard, qu’est-il devenu ? Nous nous sommes déplacés sur les lieux pour nous en rendre compte.
« On a été arraché de notre hameau, de l’odeur de la terre. On nous a éloignés de nos bêtes pour nous installer dans une petite ville en contrebas où l’on est né. On s’est retrouvé avec l’électricité et l’eau au robinet, plus tard avec du gaz de ville. On a nous a « citadinisés » en un clin d’œil. Il n’y avait pas matière à comparer. De l’obscurité, on s’est retrouvé dans la lumière. Mais, la complexité humaine est telle qu’on ne peut rendre heureux un homme en lui fournissant eau, électricité et gaz. S’il est vrai que nos conditions de vie se sont nettement améliorées, la vérité est qu’on nous avait ravi notre personnalité, notre mode de vie » confesse avec regret, Ammi Tahar, septuagénaire.
« Ecoutez, moi je me réveillais avec le chant du coq pour aller paitre mes moutons et ma femme pour couper le bois et traire les vaches. Dans la journée, les autres membres de ma famille travaillaient dans les champs. En nous éloignant de tout cet environnement, le nôtre, on s’est retrouvé à regarder la télévision, acheter le pain chez le boulanger et le lait chez l’épicier du coin » explique Mohamed M. 74 ans.
Mais, qu’est ce qui empêchait ces paysans d’habiter dans leur nouveau village et travailler leurs terres ?
« On vivait sur nos terres entourés de nos champs et nos bêtes. On nous a éloignés de tout ça, et en plus, en nous « transférant » dans cette nouvelle ville, on a mis du temps pour y croire. D’abord, on a été impressionné par toutes les commodités, tout le confort. Pour nous c’était le paradis. Mais, passé l’effet de la fascination, on a senti qu’on n’était pas dans notre peau. On a compris qu’on nous avait mis dans une situation qui n’était pas la nôtre. On a été gagné par le dégoût. On nous a enlevé le goût du travail, puisque tout était à notre portée. On vivait dans une sinécure. Et ce n’était pas reposant pour nous… » abonde dans le même sens Bachir O.
Certains pères de famille, contre l’avis des responsables locaux, voulaient reconquérir leur espace naturel, leurs montagnes, leurs collines… Mais, c’était considéré comme un affront à la politique socialiste de Boumediene.
« Et puis, ce n’était pas possible en tout cas, entre temps, nos enfants ont grandi… avec le réfrigérateur, le téléviseur, l’eau au robinet. En les obligeant à retourner à la campagne, signifiait leur imposer de puiser l’eau des sources, l’acheminer à dos d’âne, se réveiller tôt le matin pour aller aux champs… et ça, c’était comme raconter à nos enfants des histoires de Djeha ou autres légendes. Moi, le père, je vivais un dilemme : partir et les laisser dans le village ou rester avec eux et abandonner mes terres. J’étais triste en réfléchissant à tout cela… » affirme Miloud F.
En 1974, le village était livré tout neuf, avec des placettes, des squares fleuris. Avec le temps, tous ces espaces ont été quasiment squattés. L’architecture des constructions a changé, également.
« Nous habitions dans de petits duplex, avec le temps, les enfants ont grandi et nous avons commencé à entreprendre des travaux d’extension. Les autorités soudoyés, laissaient faire. Résultat : des habitations démesurées sans âme. Ain Nehala a été enlaidie… » déplore Missoum, jeune architecte de 40 ans.
Aujourd’hui, ce village, à l’instar des 999 autres, disséminés à travers l’Algérie, n’a aucun cachet urbanistique. La corruption, le laisser-aller et la déliquescence ont trahi le concept et la cause d’un chef d’Etat ayant longtemps cru à l’ « être parfait »…