Evoquer la situation du tourisme à Tamanrasset, ville saharienne située à 2000 km de la capitale Alger, aboutit inévitablement à une impasse et permet d'ouvrir une parenthèse sur de sérieux problèmes ayant complètement paralysé ce secteur névralgique dans le Sud. Un secteur qui s'embourbe davantage dans des difficultés noirâtres sans, semble-t-il, inquiéter les décideurs, toujours préoccupés par «la comptabilité du pétrodollar», ou ce que considèrent les tour-opérateurs de la région comme «commun malheur». Pays mono-exportateur, l’Algérie tire des hydrocarbures 98% de ses revenus en devises. Mais la chute vertigineuse du prix du pétrole s’est négativement répercutée sur l’économie nationale. La relance du tourisme saharien s’impose ainsi comme palliatif à l’aune de la baisse des revenus des hydrocarbures. Dans les discours officiels, on affirme vouloir mettre le paquet sur cet autre secteur stratégique. Lors d’une réunion avec les tour-opérateurs en novembre dernier à Tamanrasset, le Ministre de l’Aménagement du territoire, du Tourisme et de l’Artisanat a ainsi annoncé une batterie de mesures. La révision des lois régissant les agences de tourisme et de voyages, l’installation d’une commission mixte pour étudier la possibilité d’alléger les procédures d’octroi des visas aux touristes étrangers et l’ouverture des circuits touristiques fermés dans l’Ahaggar ont été, entre autres, les engagements pris par le représentant du gouvernement pour relancer le tourisme saharien. « Je ne suis pas venu pour faire de fausses promesses, mais pour faire une évaluation exhaustive et objective de ce secteur en coordination avec ses véritables acteurs. Nous œuvrons à l’amendement de la réglementation liée à la gestion des agences de voyages à l’effet de mettre un terme à la bureaucratie dont souffrent nos opérateurs » a-t-il déclaré.
Un grain d’espoir pour les acteurs en tourisme qui se disent « sinistrés ». Rappelons que depuis 2010, année de l'interdiction du Tassili du Hoggar aux touristes étrangers en raison de la crise sécuritaire prévalant aux frontières algéro-maliennes, le tourisme saharien a connu une succession de crises au moment où les responsables du secteur distillent des chiffres en trompe-l’œil pour dissimuler l'échec des dispositifs mis en place pour sauver un secteur à l’agonie.
Lourdeurs bureaucratiques
Les tour-opérateurs de la capitale de l'Ahaggar, Tamanrasset, disent leur ras-le-bol du mutisme des autorités compétentes, incapables de répondre à la crise que subit le secteur depuis six longues années et rappellent désespérément que bon nombre de responsables d'agences touristiques ont, après avoir fait banqueroute, mis la clé sous le paillasson. Selon les chiffres avancés par la Direction du Tourisme et de l’Artisanat de la wilaya de Tamanrasset, 14 agences, affectées par la crise ont changé d’activité. Le nombre qui était de 86 agences de voyages a été réduit à 72. « Il est vrai que la dégradation de la situation sécuritaire à nos frontières, depuis le début de la crise malienne, a sérieusement compromis le secteur touristique à Tamanrasset, toutefois, l’arrêt de l'activité touristique est dû en partie aux traditions bureaucratiques imposées par l'administration, notamment en ce qui concerne les demandes de visa et l'interdiction inexpliquée des sites aux touristes étrangers » maugrée, Sollah Mohamed, vice-président de l'association des agences de voyages de Tamanrasset. « Malgré les assurances des services de sécurité et les engagements du ministère de tutelle quant à l’ouverture des sites fermés, le touriste se trouve empêtré toujours dans des formalités inextricables. Il faut savoir que la demande de visa passe impérativement par la direction du tourisme, puis par le conseil de sécurité de la wilaya, avant qu'elle n'atterrisse au bureau du ministère de tutelle qui prendra attache avec le ministère des Affaires étrangères qui, de son côté, informera les représentations diplomatiques. C’est trop ! Nombre de touristes étrangers ont renoncé à leur voyage vers l'Algérie pour d'autres destinations beaucoup moins attractives à cause de ces mesures désobligeantes», se désole-t-il.
Six ans de marasme et de disette
Hormis les quelques agences qui ont pu maintenir un semblant d'activité en accueillant sporadiquement des touristes nationaux, 60 autres agences risquent de renouer avec l'hydre du chômage. Des restaurateurs aux guides, en passant par les chauffeurs et les chameliers ou les commerçants, toutes les activités liées au tourisme sont touchées et cela affecte l’ensemble de l’économie locale. Nasreddine Mohamed Ben Abdellah, artisan, raconte avec amertume les difficultés rencontrées avec la baisse du flux touristique. « Destination inévitable des touristes, la coopérative de l’artisanat Assaghane d’Assoro Lamaalmine (quartier situé à quelques encablures de la ville de Tamanrasset), est presque déserte aujourd’hui. Une sérieuse menace pour les petits métiers, notamment le travail du cuir qui tend à disparaître. L’avenir de l’artisanat à Tamanrasset est incertain, notamment avec les mesures d’austérité prises par le pouvoir en place et le blocage du fond destiné aux artisans. Le tourisme international est notre seul espoir » nous dit Nasreddine. Et de renchérir : «le Sahara ne se prête pas à un tourisme de masse et ses adeptes savent pertinemment comment s'y adapter et se mettre en symbiose avec lui. Il est donc préjudiciable de ne plus pouvoir jouir des richesses du patrimoine de notre pays aux dépens de l'éphémère rente pétrolière ».
Faites- nous confiance !
Asphyxiés, les tour-opérateurs interpellent les autorités. «Il faut nous faire confiance. Sans la confiance on n’avancera pas. Nous avons l’expérience et nous savons que quand on travaille dans un cadre organisé, il n’y aura jamais de problèmes», estime le responsable de l’agence Akar Akar, Zounga Mohamed en précisant que l’économie locale est particulièrement basée sur les recettes générées par le tourisme.
« En 2008, on recevait entre 1500 à 2000 touristes par semaine. Tout le monde travaillait avec cette clientèle. Depuis la crise, 60% des jeunes sont au chômage » se lamente-t-il. Les 72 agences actives dans la wilaya de Tamanrasset assurent chacune un salaire mensuel à plus de 50 employés. Le secteur, moteur principal de l’économie locale, contribuait par le passé à hauteur de 70% des revenus de cette collectivité. Les professionnels recommandent des mesures à même de hisser le tourisme à un niveau qui soit à la hauteur des potentialités de la région.
La capitale de la légendaire reine des Touareg, Tin Hinan tente, tant bien que mal, de maintenir une dynamique touristique en abritant des manifestations culturelles annuelles, dont le Festival international des arts de l’Ahaggar ou encore les Ziara (fêtes religieuses) de Tazrouk et d’Adagh Mouly. En attendant des mesures incitatives pour faire revenir les touristes étrangers et réanimer derechef ces régions sahariennes qui regorgent de sites exceptionnels comme l’Assekrem, le Tifedest ou le Tassili N’Ahaggar classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Rabah Karèche