C’est ce qu’on appelle en économie le troc. Et malgré l’évolution que connaissent les modes d’échanges commerciaux dans le monde et bien qu’un gigantesque progrès technologique ait touché tous les domaines de la vie au point que les pays développés sont parvenus à une nouvelle ère de commerce qu’on appelle le commerce électronique, ce mode d’échange ancestral existe toujours et se pratique encore jusqu’à nos jours dans les milieux commerçants frontaliers, aussi bien à Tamanrasset qu’ailleurs, en Algérie et au Niger.
Les choses allaient très bien et les trocs commerciaux se déroulaient normalement entre les commerçants de Tamanrasset et leurs homologues du Niger jusqu’à la décision soudaine de fermeture des frontières entre l’Algérie et ses voisins, décision qui a eu un effet de tonnerre sur les commerçants du troc de la capitale du Hoggar. C’est ce que nous révèle l’un des commerçants de Tamanrasset qui n’a jamais exercé d’autre métier de sa vie.
Il nous confie : « Nous sommes déçus et très inquiets. Comment pourrait-on vivre désormais ? Et comment régler nos échanges restés en suspens avec les commerçants des pays voisins ? Comment payer nos dettes envers les fournisseurs locaux ? Toutes ces questions et bien d’autres encore nous tourmentent l’esprit… ». « Nous étions nombreux à exercer ce commerce que nous nous transmettions de père en fils depuis nos aïeux. Nous n’en avons d’ailleurs jamais connu d’autre avant que nous ne soyons plus que quelques uns à le pratiquer… Nous ne sommes aujourd’hui que 28 troqueurs », conclut-il.
Haj Touji Mohamed affirme pour sa part : « Avant de fermer les frontières, nous avions une contribution importante à l’économie nationale et nous étions des citoyens actifs dans la société. Nous exportions les dattes de gamme moyenne, celles de qualité supérieure étant interdites de troc. Nous exportions également les couvertures, les produits de l’artisanat local, le bois, le cuir traité, le plastic, la ferraille, les matériaux de construction, les gâteaux, le prêt à porter en tous genres et beaucoup d’autres choses. Nous importions aussi le bétail vivant, le thé vert, les épices… etc ».
En effet, selon les statistiques qui nous ont été fournies par la Douane, pour l’année 2011, c’est-à-dire avant la fermeture des frontières, la facture d’exportation se chiffrait à plus d’un milliard de dinars que le troc apportait au trésor public.
Cette somme considérable qui était sensée se multiplier davantage encore, a connu une forte baisse qui a eu de lourds effets secondaires… En effet, les vendeurs de dattes n’ont pas trouvé de marché pour écouler leur production qui, étant de qualité moyenne, ne se vend pas sur le marché local. De même, les prix du bétail ont augmenté sensiblement, tout comme ceux des épices, des cacahuètes et plusieurs autres produits.
Hadj Touji explique encore que « ce qui a ajouté à la souffrance des commerçants, c’est le fait que les autorités de tutelle et la Douane ont interdit l’exportation de certains produits comme le sel industriel, les gâteaux ou encore les boissons gazeuses fabriqués localement, bien que l’Algérie en dispose en quantités suffisantes ».
En plus de cela, et pour la troisième année consécutive, la wilaya de Tamanrasset se voit privée de l’une de ses manifestations commerciales les plus importantes : le marché de l’Assihar. Evénement économique et culturel important, c’était une foire où se réunissaient les opérateurs économiques algériens et ceux qui viennent des pays d’Afrique subsaharienne. C’était également un espace où se vendaient des marchandises et des produits, en même temps que se mélangeaient des coutumes et des traditions qui tissaient des liens économiques, sociaux et culturels entre les peuples de la région. Cette manifestation économique internationale se produisait une fois par an sur une durée qui ne dépassait pas les 21 jours. On y exposait des produits spéciaux tels que les ananas ou les noix de coco, des tissus, de la vaisselle, des articles de l’artisanat africain et plusieurs autres produits… Ainsi donc disparut l’une des foires les plus célèbres de la capitale du Hoggar algérien.
Par ailleurs, Mohamed Salah Hamouda, commerçant troqueur explique : « Il est vrai que les autorités nous ont laissé entrevoir une lueur d’espoir en nous autorisant à exercer notre commerce de façon restreinte, puisqu’elles nous ont accordé une journée, le quinzième jour de chaque moi, à l’exportation et une autre, le trentième, à l’importation. Toutefois, nous souffrons toujours du fait que si jamais nous retardions notre sortie ou notre entrée, ne serait-ce que d’un seul jour, cela implique automatiquement un retardement d’un mois entier. Or, je ne sais pas si les autorités l’ont oublié ou si elles font semblant de l’avoir oublié, la distance qui sépare le chef-lieu de la Wilaya des frontières est de 400 km ! Et avec les camions et leurs chargements, comment une seule journée peut-elle nous suffire ?! D’ailleurs, cela nous a épuisés et a beaucoup affecté notre commerce. Néanmoins, nous avons continué à revendiquer la prolongation de la période autorisée en n’obtenant, pour toute réponse, que des promesses jamais tenues jusque-là. Et voilà qu’au lieu de revendiquer l’ouverture des frontières afin que notre métier ne soit pas voué à l’extinction, nous voilà en train de quémander quelques jours de plus pour l’importation et pour l’exportation, afin d’échapper au chômage et à la faillite ».
En parlant au président adjoint de la Chambre du Commerce et de l’Industrie du Hoggar, El Âaloui El Wafi, il nous assuré que la Chambre a appelé les autorités à ouvrir les frontières aux commerçants troqueurs pour qu’ils poursuivent l’exercice de leur métier et qu’ils préservent cette tradition. Cette mesure est d’autant plus nécessaire qu’elle permettrait davantage à la zone frontalière de résister à la contrebande. Une journée supplémentaire a d’ailleurs été ajoutée, selon notre interlocuteur, à l’exportation des produits et une autre à l’importation. Ainsi, les commerçants troqueurs disposent désormais de deux jours pour l’export de leurs marchandises et de deux autres pour en importer.
Certains habitants ont par ailleurs exprimé l’étonnement que suscitent chez eux les mesures prises par les autorités envers la pratique du troc et leur acharnement à l’étouffer, notamment avec la restriction de la liste des marchandises exportables, sachant que la production de ces produits est locale et qu’elle peut rapporter de grosses sommes d’argent à l’Etat et aider les troqueurs à étendre leur activité et à moderniser leurs échanges économiques.
Ils considèrent également que l’interdiction d’importation qui a frappé certaines denrées telles que les cacahuètes et les épices a considérablement affecté le pouvoir d’achat du citoyen, surtout que, lorsqu’elles étaient importées sous le mode du troc, elles se vendaient à des prix raisonnables.
Hamouda Mohamed Salah assure par ailleurs que ces manœuvres de restrictions ainsi que la limitation des produits exportables, va nuire aux industriels et aux investisseurs locaux dont les marchandises, n’étant pas concurrentielles sur le marché international, ne peuvent se vendre que sur les marchés africains.
Le troc poursuit ainsi sa lutte pour la survie au milieu des échanges commerciaux modernes et malgré les progrès survenus dans le monde. La fermeture des frontières entre l’Algérie et le Niger ne peut que rendre encore plus pénible cette lutte pour la survie.