Au fond, son rêve d’exhiber les vêtements de mode sur une piste de mode ne s’est pas complètement effiloché, puisque elle déambule dans les rues de Maghnia, mettant bien en exergue sa silhouette. Le drame, en guise d’habits de mode, elle porte des haillons. Maria, Marie ou Sainte Marie, comme elle dit s’appeler, a basculé dans la folie. Sans que ses concitoyens s’en aperçoivent. « On n’a pas vu venir cette descente aux enfers » se désole, Abdoul, avant de se corriger « On n’a pas voulu voir venir, préoccupé chacun dans son coin au sort qui l’attend ! »
Le chagrin fait perdre la raison. « En réalité, beaucoup d’entre nous ont subi le même sort qu’elle, sauf qu’elle, une femme, sillonnant la ville du matin au soir, est plus visible » croit savoir Abdoul.
Maria, pourtant, a été si près du but : elle a réussi à traverser la frontière entre l’Algérie et le Maroc et arriver jusqu’à Nador, à quelques pas de l’enclave espagnole de Melilla. Manque de pot, après un séjour de près de deux mois dans la forêt de Beni Ansar où un millier de migrants subsahariens s’installent avant de tenter de pénétrer sur le sol ibérique, soit en enjambant le long et haut grillage ou à la nage.
Maria s’est fait arrêtée et ramenée d’où elle venait, le tracé frontalier entre l’Algérie et le Maroc et « priée » manu militari de regagner l’Algérie de nuit. Une sorte de « retour à l’envoyeur » Une attitude illégale fort connue chez les autorités des deux pays qui consiste à se renvoyer nuitamment les migrants irréguliers.
Le « mannequin des rues » qui a perdu le verbe depuis cette mésaventure, (elle balbutie des propos inaudibles et imperceptibles) a non seulement sombré dans le désespoir, avant de succomber dans la folie à cause de son refoulement vers l’Algérie, mais elle a été trop martyrisée parce que maltraitée, violentée pendant le processus de migration, notamment sur le territoire marocain.
A ce sujet, Médecins sans frontières (MSF) a rendu public, il y a quelques mois, un rapport alarmant sur la violence sexuelle subie par les femmes migrantes d’origine subsaharienne qui « arrivent au Maroc et tentent de gagner l’Europe. Il en ressort que 39% des migrants subsahariens (MSS) interrogés pendant le recensement réalisé en janvier 2010 ont reconnu avoir subi une agression. Sur la base du recensement, MSF estime que le nombre actuel des MSS au Maroc s’élève à 4.500. Le rapport intitulé «Violence sexuelle et migration» indique qu’entre mai 2009 et janvier 2010, une femme sur trois prise en charge par MSF à Rabat et Casablanca a admis avoir subi un ou plusieurs épisodes de violence sexuelle que ce soit dans son pays d’origine, pendant le processus de migration ou sur le territoire marocain. Ce chiffre pourrait être bien plus élevé dans la mesure où plusieurs femmes ont refusé de parler. Selon l’ONG l’usage de la violence sexuelle figure parmi les pratiques violentes les plus courantes subies par les femmes dans le contexte des migrations. Sur 63 femmes interrogées ayant subi des violences sexuelles, 45% d’entre elles ont déclaré avoir été violées pendant le trajet migratoire... »
Maria, qui en fait partie, disparait régulièrement de « sa piste de mode de Maghnia »
La population lui vient en aide en la nourrissant et en lui offrant des couvertures et des vêtements usagers. Des habitants, désabusés, qui interpellent les responsables politiques à trouver des solutions pour garantir la dignité à Maria et ses semblables « Leurs gouvernements doivent, également, penser à leurs compatriotes en les récupérant pour les rapatrier dignement »
Maria continue épisodiquement d’exhiber sa belle silhouette d’antan dans les rues de Maghnia. Dans sa tête, les rues ont la couleur des pistes européennes. Dans sa tête seulement…