Depuis que beaucoup de ses camarades ont été reconduits à la frontière, Amadou, que la misère et le chômage ont fait fuir du Burkina Faso il y a deux années, rase les murs à Alger. Maçon de formation, il ne sort que pour se rendre à Ouled Fayet, un quartier situé sur les hauteurs d’Alger où un particulier lui a confié des travaux de rénovation d’une vieille bâtisse. Comme tous ceux qui ont échappé à la rafle du 1er décembre 2016 au cours de laquelle la gendarmerie algérienne a arrêté et expulsé un grand nombre de subsahariens, Amadou fait profil bas et évite le plus possible la fréquentation de lieux publics.
Pour lui, il s’agit de ne pas trop se faire remarquer. «Je suis obligé de rester discret car il est vital pour moi de rester ici et de conserver mon travail. Ma vie et celle de mes enfants en dépendent», confie-t-il apeuré. La trentaine bien entamée, Amadou gagne 650 dinars par jour (un peu moins de 6 euros au taux de change officiel). Avec l’argent mis de côté, il a déjà pu inscrire ses trois enfants à l’école à Ouagadougou et se construire une petite maison. La politique de tolérance zéro suivie par l’Algérie à l’égard des migrants clandestins risque cependant de remettre en cause l’équilibre précaire sur lequel repose le destin de sa famille.
Regroupés dans des camps
Les migrants renvoyés dans leurs pays respectifs ont transité par le Niger. Mais avant, ils ont été regroupés dans un premier temps dans un centre en périphérie d’Alger et ensuite à Tamanrasset, une ville située à plus de 2 000 km au sud d’Alger. Parmi eux, il y avait des demandeurs d’asile et des familles qui vivaient et travaillaient à Alger depuis des années. Aussi, le sentiment de crainte d’Amadou est-il aujourd’hui partagé par de nombreux autres migrants venus à Alger pour aider leur famille. La peur est d’autant plus grande que rien ne dit que les autorités algériennes ne reprendront les expulsions dans les prochains jours ou les prochaines semaines. C’est que certains pays du Sahel comme le Niger ont signé noir sur blanc des accords autorisant le gouvernement algérien à reconduire à la frontière leurs ressortissants en situation irrégulière à n’importe quel moment.
La présidente du Croissant rouge algérien (CRA), Saïda Benhabyles, reconnait qu’ils ne sont que près de 2.000 migrants subsahariens à être concernés par la vague de rapatriement. Mais Mme Benhabyles réagit au quart de tour en réaction aux condamnations d’ONG de défenses des droits de l’homme qui ont suivi l’opération. Elle refuse donc de parler d’expulsion ou de maltraitance. «Il ne s’agit pas de départ forcé mais de retour volontaire dans leur pays», se défend la présidente du CRA. «Nous sommes en train de rapatrier des Nigériens à la demande de leur gouvernement. Quant aux migrants d’autres nationalités, ce sont eux qui nous ont demandé de les reconduire chez eux. Aucun migrant n’a été contraint de quitter le sol algérien», soutient-elle encore tout en insistant sur le respect de la dignité des personnes arrêtées. Elle a, en outre, précisé que plus de 18.000 Nigériens ont été rapatriés depuis 2014, en accord avec Niamey.
Rafles de nuit
Sauf que dans les faits, les choses ne se sont pas passées telles qu’elle les décrit. Cette version est, du moins, battue en brèche par des ONG selon lesquelles les migrants chassés d’Algérie ont été chassés de force et parfois même brutalisés. La Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH) a fait savoir, à ce propos, que les migrants dont la plupart sont issus de l'Afrique de l'Ouest, ont été appréhendés à leurs domiciles… et de nuit. Une source sécuritaire a confié à Dune Voices que «la gendarmerie algérienne est passée à l’action dans le but aussi de mettre fin aux affrontements opposant régulièrement migrants et Algériens dans certains quartiers de la capitale», ajoutant que «ces rixes à répétition renvoient parfois à des batailles pour le contrôle du marché de la drogue».
Si les migrants ayant échappé au coup de filet des services algériens de sécurité reconnaissent que certains de leurs concitoyens se comportent mal et versent parfois dans le banditisme, ils disent néanmoins regretter que les autorités aient décidé de mettre tout le monde dans le même sac. Mère de trois enfants en bas âge, Fatimata originaire du Niger dit ne pas comprendre l’ «attitude hostile» des Algériens à l’égard des migrants alors que la majorité d’entre eux est sans histoires. Ils gagnent leur vie à la sueur de leur front et permettent aux nombreux chantiers de construction qui ceinturent les grandes villes algériennes d’avancer. Un peu comme elle, beaucoup de Maliennes, de Burkinabès et de Nigériennes sont employées dans des maisons de maîtres en qualité de femmes de ménage ou de cuisinières.
Main d’œuvre recherchée
Quelque 100.000 migrants d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale en situation irrégulière travaillent en Algérie. Il est vrai qu’ils acceptent sans rechigner d’accomplir des tâches que de nombreux Algériens refusent d’assurer en raison de leur pénibilité. Ainsi, les agriculteurs et les promoteurs immobiliers sont les premiers à prendre leur défense, pour ne pas perdre leur main d’œuvre. C’est peut-être la raison pour laquelle très souvent les arrestations de migrants ne sont pas toujours suivies de reconduction aux frontières. Dans beaucoup de villes, les migrants sont tolérés et même recherchés pour leur sérieux au travail. Ils représentent aussi et surtout une main d’œuvre bon marché dont beaucoup ne peuvent plus se passer.
Mustapha Ouargli