Une Française est blessée dans le mème attentat vite imputé par les autorités marocaines aux services secrets algériens. Début d’une sorte de guerre froide entre deux pays voisins dont les victimes seront nombreuses, dont les familles des deux côtés de la « barrière » Enquète.
Le royaume décide, alors, d’instaurer le visa aux ressortissants Algériens. La riposte de son homologue algérien est immédiate. La réciprocité et la fermeture de sa frontière terrestre. Conséquences de ces décisions politiques prises à la hâte : des familles entières des deux côtés sont disloquées. Les visites entre elles s’estompent brusquement.
Solution palliative : Pour se voir ou se parler, les familles déchirées se retrouvent sur les rives de l’Oued Kiss. Une distance de 50 mètres les sépare. Pour communiquer, elles recourent aux gestes...un peu comme le font les sourds et muets. Une situation kafk Aïenne, faut-il l’admettre.
Entre Oujda, la grande agglomération de l’Oriental chérifien et Maghnia, première métropole de l’ouest algérien, 14 kilomètres de mème configuration géographique séparent deux entités de mèmes langues, de mème religion et de mèmes traditions.
Un drame vécu comme une injustice et un acte inhumain
Pour aller écouter des familles de l’autre côté de la barrière, je dois emprunter la « Route de l’unité », enjamber des tranchées profonds de trois mètres et larges de 1,5 mètre cinquante, creusées par l’armée algérienne et grimper un grillage haut de trois mètres, érigé par les soldats de sa majesté. Une traversée tolérée par les garde-frontières des deux pays moyennant une somme d’argent qui varie selon les passagers clandestins (entre 20 et 100 euros). «C’est le droit de passage appliqué tacitement par ceux qui sont censés surveiller les frontières », confie notre passeur de fortune.
Au café de France, sur le boulevard Mohammed V à Oujda, Miloud, 45 ans, expulsé d’Algérie en 1975 avec son père et ses deux sœurs, écrase quelques larmes avant de se confesser d’un ton saccadé. «Excusez-moi vous venez d’en face, mon pays natal . Là o๠est enterrée ma mère. Je ne peux mème pas aller me recueillir sur sa tombe à Tlemcen parce que, pour y aller, il faut partir à Casablanca en train, prendre l’avion pour Oran et payer un taxi jusqu’à Tlemcen. C’est absurde ! Je n’ai pas les moyens pour faire tout ce circuit, alors qu’il me suffit de dix minutes pour traverser la frontière et aller ‘’voir’’ ma mère ».
Miloud, « déporté » d’Algérie en 1975.
«Mon père est marocain et ma mère est algérienne. Mes deux sœurs et moi sommes nés en Algérie, mais pour la loi algérienne nous sommes éternellement Marocains. En 1975, on nous a séparés de notre mère un jour d’une fète religieuse, l’ Aïd El Adha. Entre temps, mon père est décédé. Lorsque les frontières sont rouvertes en 1988, l’espoir renaà®t, mais l’obtention du passeport à l’époque était difficile. Je ne pouvais traverser clandestinement parce qu’on nous disait qu’on risquait gros. Mon rève, depuis cette triste date de 1975 est d’aller me recueillir sur la tombe de ma mère et mourir ! », poursuit-il.
Khalti Halima, septuagénaire, se remémore la déchirure, le visage éploré. «Je suis marocaine et j’étais mariée à un algérien. De cette union sont venus au monde cinq enfants. J’ai été séparée de mes enfants un matin de décembre. Mon époux est décédé, il y a dix ans et je n’ai pas pu aller à son enterrement. Mes enfants risquent leur vie en venant me voir épisodiquement, mais je n’ai droit ni aux fètes, ni aux malheurs qui touchent ma famille en Algérie » Des Miloud, Halima, il en existe par milliers. Nous quittons ces déracinés la mort dans l’âme pour retourner sur le sol algérien par le mème moyen qu’à aller.
Ammi Hocine, quatre-vingts ans, la silhouette fatiguée, peine à parler de son épouse Khadra. «On me l’a enlevée alors qu’elle préparait le petit déjeuner. Elle vit toujours mais à cause de notre âge, on ne se voit qu’épisodiquement. Je ne peux plus marcher pour traverser clandestinement la frontière. Ce sont mes enfants qui m’emmènent la voir. «Entre les Monts » sur Oued Kiss et je «parle » à ma femme à distance. Mais comme nous nous aimons, nous nous comprenons », confie-t-il pudiquement et d’une manière à vous fondre le cœur. Des familles entières ont toujours des attaches dans le Royaume, mais sans possibilité de rencontres. En attendant que les politiques des deux «pays frères » consentent à mettre de côté leur ego et règlent ce problème de frontière, les victimes - pour celles qui le peuvent - continuent à emprunter la «Route de l’unité ». Pour d’autres, ils se mettent sur les rives de l’Oued Kiss pour continuer à s’aimer. Un vrai pied de nez aux gouvernements des deux pays.