Généralement, la contrebande suit trois phases. Chacune de ces phases est prise en charge par un groupe de contrebandiers aguerris. Il y a d’abord un groupe de personnes qui est chargé d’acheter puis de stocker, sur le territoire algérien, les produits à « exporter ». Habituellement, les produits destinés à la contrebande sont dissimulés dans le désert. Une fois la tache accomplie, un deuxième groupe intervient pour faire traverser la frontière aux produits destinés à être écoulés au Sahel. Enfin, une troisième équipe hérite du travail le plus facile qui consiste à écouler la « marchandise ».
Même s’il reste, aux dires de spécialistes du dossier, beaucoup à faire encore pour rendre les frontières complètement étanches, il n’en demeure pas moins que le tour de vis des services algériens de sécurité a saigné les filières de la contrebande. La remarque vaut, par exemple, pour la filière spécialisée dans la contrebande de carburant. En septembre dernier, plus de 2000 maliens se sont retrouvés du jour au lendemain au « chômage », un nombre considérable de contrebandiers ont été interpellés et plusieurs ont vu saisir leurs véhicules. Ces pertes sont considérables pour les contrebandiers surtout qu’il n’y a pas d’alternative au ‘marché algérien’ pour le moment. La Libye voisine qui, jadis, arrosait aussi abondamment la région en essence, est déchirée par la guerre civile et minée par le terrorisme.
Dans cette guerre contre les contrebandiers, l’Algérie n’est visiblement pas seule. Le colonel Mohamed Bachir de la Coordination des mouvements de l’Azawad, reconnait la gravité du phénomène et se dit prêt à offrir son aide et celle des siens pour venir à bout des « suceurs de sang».
«Nos frères Algériens ont besoin de notre aide et ce trafic du carburant doit être combattu avec rigueur et sans relâche», martèle-t-il. Mais pour que la guerre contre les trafiquants réussisse, il faut offrir une alternative aux jeunes au Nord du Mali, qui sont actuellement enrôlés (parfois de force) dans les réseaux criminels. D’innombrables jeunes ne s’investissent pas dans la contrebande de gaité de cœur. Certains n’y reviennent pas…soit parce qu’ils ont été appréhendés soit par qu’ils ont été tués.
C’est un peu l’histoire du jeune Soumeylou dont la famille a perdu la trace. Fatimatou, sa mère, est tenaillée jour et nuit par l’angoisse. Elle n’a pas revu son fils depuis près d’une année. Soumeylou, à peine la vingtaine, s’est laissé convaincre par ses amis qu’il pouvait gagner de l’argent en devenant passeur. Rongé par la misère, il a sauté à pieds joints dans l’univers impitoyable de la contrebande. Mais depuis qu’il est parti, il n’a pas donné signe de vie. « Je pense au pire. Ce qu’il fait est tellement risqué. Ses chefs disent qu’il va bien mais je n’ai pas confiance. Je le connais, il aurait demandé de mes nouvelles et serait venu me voir. Mon Dieu j’ai peur…», lâche-t-elle tout en sanglots.
Soumeylou avait-il le choix ? Pouvait-il faire autrement dans un Mali extrêmement pauvre et plongé dans une crise sans issue ?
Oumar, un jeune de 18 ans, chauffeur d’un 4x4 avec lequel il fait de la contrebande de carburant sur l’axe Tinzaoutine-Kidal, est persuadé que non. «Certes, ce travail est super risqué mais ai-je le choix ? Ma famille est pauvre et mon père n’est plus en mesure de subvenir aux besoins de la famille. Que voulez-vous faire dans une région qui ne vous laisse aucune possibilité de gagner votre vie honnêtement. Pour moi, c’est une question de vie ou de mort. Si je reste les bras croisés cela voudrait dire que j’ai fait le choix de laisser ma famille mourir de faim. Parmi les maux j’ai choisi le moindre», tranchet-il.
Un de ses compagnons de route abonde dans le même sens et ajoute : « Après tout ce n’est qu’un business. Nous ne sommes pas des trafiquants mais plutôt des commerçants et les commerçants sont là pour faire des bénéfices. Nous trouvons du carburant à bas prix et nous revendons à un prix abordable. Où est le mal ? D’autres ont suivi les terroristes». Il est vrai que des terroristes s’investissent aussi dans la contrebande pour financer leurs activités criminelles.
Mais pour le malheur de ces « gentils » businessmen qui prennent des risques uniquement pour faire nourrir leurs familles ou faire de l’argent, les services de sécurité de la région ne font pas de distinction entre les contrebandiers et les terroristes surtout qu’il est établi depuis longtemps qu’il existe des vases communicants entre eux.
Car, ce n’est un secret pour personne, l’extrême volatilité de situation sécuritaire au Sahel occasionne des nuits blanches aux services algériens de sécurité. Craignant des infiltrations de groupes terroristes sur son territoire, le gouvernement algérien a entrepris dès 2011 de renforcer le contrôle à ses frontières avec la Libye, le Niger et le Mali. Le souhait de l’Algérie de rendre ses frontières hermétiques n’a cependant pas que des motivations sécuritaires.
Depuis que les prix du pétrole et du gaz ont perdu la moitié de leur valeur, l’Algérie a vu ses rentrées en devises baisser de 40%. Le pays est connu pour dépendre à 98% de la vente de ses hydrocarbures. Malgré la crise qui affecte le marché pétrolier, le pays continue néanmoins de soutenir les prix des produits de première nécessité comme le sucre, la semoule, le lait ou les carburants. Certains carburants, cédés à des prix modiques, sont même importés. En réalité, même le lait et la semoule sont importés.
Pour éviter que tous ces produits subventionnés - qui pèsent très lourd sur le budget de l’Etat - ne se retrouvent de l’autre côté des frontières, l’armée et la gendarmerie algérienne ont déclaré une guerre sans merci aux contrebandiers. Leur traque donne des résultats encourageants. Depuis deux années au moins, il ne se passe pratiquement pas une semaine sans qu’il n’y ait des arrestations de contrebandiers et des saisies d’armes ou de marchandises diverses. D’une pierre deux coups, l’armée algérienne traque aussi les nombreux trafiquants de drogues qui pullulent dans la région.
C’est bien simple, le gouvernement algérien a fait de la lutte contre la contrebande une priorité nationale tant le phénomène saigne à blanc son économie. En juillet l’ancien ministre algérien de l’intérieur Daho Ould Kablia qualifiait le phénomène de «problème tant sécuritaire qu’économique» qui menace la stabilité de l’Algérie. A une période, la contrebande de carburant à pris une telle ampleur que le gasoil et l’essence étaient devenus introuvables à Tamanrasset ou à Ain Salah, deux wilaya frontalières au Mali.
Toutefois, la lutte contre la contrebande est encore loin d’être gagnée. Elles s’annoncent même des plus ardues, tant les réseaux de contrebande sont bien huilés et les territoires à surveiller sont immenses. Pour donner une idée du caractère fastidieux de la tache, les services algériens de sécurité doivent surveiller un territoire qui fait 2 à 3 fois la France. Un vrai défi sécuritaire.