« Il s’agit d’une question de principe élevée au rang de dogme qui remplit une fonction visant à donner une identité propre à la politique extérieure de l'Algérie », selon Louisa Aït-Hamadouche, maître de conférences à l’institut de sciences politique de l’université d’Alger. La position algérienne adhère aux principes anciens de non-ingérence dans les affaires internes d’un pays et du règlement pacifique et politique des conflits. Des principes qu’il serait souhaitable de ne pas fouler au pied, ajoute-t-elle.
Mme Aït-Hamadouche estime que la position de l’Algérie vis-à-vis de la Libye renvoie en outre à «une raison pragmatique d'ordre pratique soulignant que jamais une intervention militaire, ‘extérieure’, n'a jamais permis de résoudre un conflit dans lequel est impliqué le terrorisme ». D’où, signale-t-elle, «l’établissement d’un consensus international sur l'importance de la dé-radicalisation». «Si l'usage de la force armée n'est pas précédé, accompagné et conclu par ce processus, le risque d'échec est immense, avec des résultats contre-productifs. En plus, une fois l’intervention militaire est lancée, il est difficile de l'arrêter», conclut-elle.
Cherif Dris, ancien directeur adjoint de l’Ecole supérieure des sciences politiques d’Alger et actuellement chargé de cours à l’université d’Alger, va globalement dans le même sens que le constat fait par Louisa Aït-Hamadouche. Seulement, il s’est montré persuadé que le «niet» de l’Algérie à une intervention étrangère s’explique en partie par sa crainte, eu égard au fait qu’elle partage une longue frontière avec la Libye, de subir les dommages collatéraux d’une telle guerre comme ce fut le cas en 2011.
«Une intervention militaire en Libye risque de déboucher sur un enlisement qui pourrait avoir des conséquences sur la sécurité de l’Algérie : vagues de réfugiés et la possibilité de voir des groupes armés profiter de l'occasion pour s'infiltrer sur le territoire algérien », énumère M. Dris avant d’ajouter qu’«une intervention rendrait le coût de la sécurisation des frontières avec la Libye davantage plus cher». Actuellement, l’Algérie dépense plusieurs milliards de dollars par an pour lutter contre le terrorisme et sécuriser ses nombreuses frontières.
Ahmed Kateb, enseignant à l’université d’Alger, journaliste et chercheur, estime aussi que s’occuper de Daech avant la mise sur pied préalable d’un gouvernement d’union nationale en Libye équivaudrait à jouer avec le feu. «Cela risque d’aggraver davantage une situation déjà très complexe sur le terrain. Il y a déjà trop de milices et de groupes. Une guerre ne ferait que les disperser», dit-il tout de go. Quid maintenant de la position de l’Algérie ?
Ahmed Kateb la qualifie de « censée » et de « compréhensive». «L’Algérie est très méfiante par rapport à une éventuelle intervention parce qu'elle va encore ouvrir la boite de pandore avec son lot de réfugiés, un probable repli terroriste vers son territoire et une implantation militaire étrangère directe à ses frontières», soutient M. Kateb qui défend l’idée par ailleurs qu’«une intervention peut réellement aboutir à une partition de la Libye et sa somalisation durable».
Malgré le péril avéré que fait courir le groupe terroriste autoproclamé Etat islamique (Daech) sur la Libye et plus généralement le Maghreb, il s’affirme que l’Algérie ne veut absolument pas entendre parler d’une intervention militaire étrangère dans l’ex-Jamahiriya. Cette position a été, par ailleurs, défendue à Addis-Abeba, en Ethiopie, par le ministre algérien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Ramtane Lamamra, à l’occasion de la tenue, fin janvier 2016, du 26ème sommet de l’Union Africaine (UA).
Pour Lamamra, «pas question de donner un feu vert à une intervention qui risquerait de compliquer davantage la situation en Libye et au Sahel». «La priorité doit être d’abord donnée à la réconciliation inter-libyenne. Après, il est clair que le gouvernement libyen sera aidé dans sa lutte contre le terrorisme», a-t-il soutenu.
Ainsi, lors du 26ème sommet de l’UA, Ramtane Lamamra a utilisé des arguments qui ont convaincu la majorité des chefs d’Etats africains d’apposer un niet catégorique à toute demande d’intervention extra-africaine en Libye, surtout pas avant la mise en place d’un gouvernement d’Union nationale. En effet, le Conseil de paix et de sécurité de l’UA (CPS) a fini par calquer sa position sur celle de l’Algérie concernant le dossier libyen.
L’organisation panafricaine n’est donc pas favorable à une intervention en Libye même si ses représentants disent prendre très au sérieux la menace Daech et qu’un jour ou l’autre il faudra bien prêter main forte aux Libyens pour en venir à bout. «C’est un aspect qui nous préoccupe tous et qui commande une action vigoureuse, mais nous ne pouvons le faire que si nous avons un gouvernement en place et des forces libyennes que nous pourrons à ce moment-là encadrer et équiper», a expliqué M. Chergui, Commissaire à la paix et à la sécurité au sein de l’U.A. «Nous ne croyons pas pour le moment à une solution militaire à la crise libyenne. Cela compliquerait davantage la donne», a-t-il encore soutenu.