Fin 2014, les autorités algériennes ont entrepris de creuser des tranchées sur le tracé frontalier pour, officiellement, lutter contre tous les trafics qui s’opèrent entre les deux pays, notamment ceux du carburant et de la drogue. Un fossé d’une longueur de 170 km, de Marsat ben M’Hidi à El Aricha.
Quelques semaines plus tard, les responsables marocains riposteront en érigeant, en parallèle, un mur en fer pour, initialement, combattre l’immigration irrégulière, avant de changer de version et parler de menaces terroristes. Une clôture censée courir sur 140 km, de Saïdia à la province de Jerada.
Toujours est-il que, quelles que soient les motivations ayant conduit les deux pays frères à cadenasser davantage leurs frontières terrestres, ces nouvelles barrières n’ont guère réussi à éradiquer la contrebande, encore moins stopper les traversées des subsahariens. C’est dire s’il faut plus que des fossés et du grillage pour surveiller des territoires souverains…
Rivalisant d’idées, il y a un mois, le gouvernement algérien a durci ses mesures en procédant à l’élargissement et à l’approfondissement de ses tranchées. Et comme il fallait s’y attendre, son homologue chérifien ne tardera pas à donner la réplique en renforçant son mur et en creusant à son tour des fossés dans la région de Figuig, dans le sud-ouest du royaume.
Des décisions politiques de gouvernants qui ne font point l’unanimité chez les populations frontalières des deux pays. Et pour cause : Les Frontaliers algériens des localités de Ouled Mellouk, Souani, Bab El Assa, Boukanoun et Marsat ben M’hidi refusent ce qu’ils appellent « le piétinement de leurs propriétés par les autorités algériennes ».
En creusant ces fossés, puis en les élargissant et en les approfondissant, des terriens ont perdu des parcelles importantes de leurs biens. « Le pire, c’est que, avec cette opération de fossés et de grillage, quelques lopins de nos terres sont passés de l’autre côté de la barrière. Nous avons été expropriés d’une manière injuste. En plus, nous n’avons pas été indemnisés…Nous ne sommes nullement contre les décisions souveraines de nos responsables, mais que cela se fasse légalement et qu’ils nous indemnisent ! »
Les Frontaliers, particulièrement de Roubane (Béni Boussaïd) et de Bab El Assa ont tenté, une première fois, de se dresser contre les engins qui s’affairaient à démolir les habitations bâties sur le tracé, avant de battre à la retraite par peur de représailles.
Fait ubuesque : de leur côté, les habitants de Figuig, dans le sud-est chérifien, se sont élevés contre les autorités de leur pays pour dénoncer ce qu’ils appellent « l’isolement de leur région (…) Le grillage, qui sépare l’Algérie et le Maroc, est la principale cause de la marginalisation de Figuig »
Dans une pétition, 2062 habitants de cette ville protestent : « Les eaux des rivières seront inaccessibles, les carrières d’extraction de la pierre de construction, les sources de sable de construction, les zones de pâturage pour les troupeaux de nos nomades, les sources de bois, les dunes seront fermées. Aucune montagne ne sera accessible, même la vue sera fermée! Nous voilà donc dans une cité-dortoir-cage-caserne-cimetière hautement surveillée. Figuig étouffe, elle s’effondre, elle se meurt ! Nous avons perdu nos terres dont une partie est passée en Algérie », constatent-ils avec amertume.
Les habitants ont marché, brandissant des pancartes sur lesquelles on peut lire « Non à l’embargo ! ».
Les victimes des deux côtés de la frontière font l’unanimité en rejetant les décisions politiques de leurs gouvernements respectifs.
Les frontières terrestres entre l’Algérie et le Maroc sont fermées depuis 1994, mais les compagnies aériennes assurent des vols quotidiens entre les deux capitales Alger (et Oran) et Casablanca.
Pour rappel, le Maroc a signé le 15 juillet 1972 avec l’Algérie un traité qui délimite leurs frontières et le ratifiera en mai 1989.
Tranchées contre grillage, la nouvelle stratégie de deux pays frères, très proches géographiquement, mais qui s’éloignent chaque jour l’un de l’autre… au grand dam des populations qui n’en font qu’une et qui rejettent cette situation de divorce…