Ouargla, jadis appelée ‘’Porte du Soudan’’, comptoir maghrébin et africain des échanges commerciaux avec les oasis du Grand Sahara et du Soudan occidental deviendrait-elle une ville inhospitalière pour des Africains qui s’y sentaient « presque » comme chez eux ? La population reste curieusement silencieuse. Seule la voix des entrepreneurs s’élève dans un plaidoyer pour la régularisation administrative de cette précieuse main d’œuvre. La raison économique semble s’imposer à la raison sécuritaire.
Il y a dix jours, la police recherchait activement un jeune nigérien, présumé meurtrier d’un Algérien. Des dizaines de jeunes criaient vengeance aux abords du camp de transit des migrants de Saïd Otba, à 6 Km de la ville. Installés par les autorités dans des usines désaffectées en guise de centres d’accueil, à l’écart des habitants, ou logeant dans des quartiers à forte concentration en main d’œuvre subsaharienne comme Sokra et Ziayna, dans la commune voisine de Rouissat, les migrants appréhendent le climat de frayeur qui s’installe. Accusés tantôt de sorcellerie, tantôt de falsification de monnaie et d’escroquerie, pointés du doigt pour leurs mœurs différentes, ils devenaient la cible d’une vengeance pour meurtre. A pied ou à dos de motos, des jeunes s’en prenaient à tous les noirs croisés sur leur chemin. « Ils nous reconnaissaient à nos tenues de chantier et à notre accent» témoigne Mamoudou, un malien qui doit la vie sauve à l’intervention de la gendarmerie nationale, en patrouille pas loin de l’atelier de mécanique qui l’emploie. Car, faut-il le reconnaitre, rien ne différencie un noir subsaharien à un noir du ksar de Ouargla dont la population a gardé les caractéristiques physiques du type africain.
Et alors que les rumeurs les plus folles colportaient des informations de migrants sauvagement attaqués et tués par des hordes de jeunes, les autorités locales démentaient mordicus « ces graves allégations ». Ces dernières reconnaissent des dépassements « vite circonscrits et la prise en charge sanitaire de 22 blessés à l’hôpital de la ville ». Les instances des droits de l’homme autant que les associations professionnelles du patronat ont dénoncé « le transfert de la honte », une démarche jugée « arbitraire » voire « injuste » vis-à-vis de ces migrants qui payent le crime d’une personne. En décidant d’étouffer cette affaire qui pue le racisme primitif ouvertement exprimé par au moins deux quartiers de la ville, à savoir Saïd Otba et Mekhadma qui sont maintes fois montés au créneau pour dénoncer la présence de ces « maliens » et le silence coupable du reste de la population, le premier magistrat de la wilaya de Ouargla justifie cette déportation par « une situation explosive et pour le bien et la sécurité de ces migrants ». Ouargla aurait « évité le pire » selon lui. Qu’a cela ne tienne, en cinq jours, quelque deux mille migrants ont été conduits à Tamanrasset, où ces subsahariens communément appelés « Swadine » se fondent dans le décor et semblent mieux acceptés. Pendant ce temps, des centaines d’autres migrants, ouvriers à la tache dans une ville en expansion, un chantier à ciel ouvert, expriment leur peur.
Une crainte doublement ressentie d’abord vis-à-vis des habitants qui leur font redouter « des exactions et des expéditions punitives comme celles de Saïd Otba et Sokra » mais aussi et surtout par rapport aux autorités qui risquent de « nous extrader à tout moment, en nous ôtant notre gagne-pain », un travail dont ils s’acquittent plutôt bien, affirme un rapport de l’union générale des entrepreneurs plaidant pour « la régularisation administrative de la main d’œuvre saharienne ». Ce rapport finalisé en fin de semaine recense plus de 2 000 ouvriers subsahariens à travers les différents chantiers de la wilaya de Ouargla. Ils sont décrits comme « un véritable levier du développement local, une main d’œuvre qualifiée et très compétente dont on ne saurait faire l’économie ». Chez le commun des Ouarglis, entre regrets et indifférence, c’est le déni d’une réelle montée du racisme au sein de la communauté locale. Des Noirs ? Il en existe des milliers y compris dans la communauté de ksouriens autochtones. Ils ont le facies africain, ces bâtisseurs du ksar millénaire de Ouargla ont vécu un mois plutôt, une humiliation qu’ils peinent à étouffer. Un cadre de la mairie de Ouargla, appartenant à cette communauté se faisait traiter publiquement de « Nègre » par un autre ouargli de la communauté arabe. L’altercation faisait suite à un débat houleux sur le nouveau découpage administratif instauré à titre expérimental par le ministère de l’intérieur dans certaines grandes villes dont la commune mère de Ouargla qui devait créer des délégations communales dans ses plus grands quartiers. Le projet est tombé à l’eau depuis.