Aucune échappatoire à l’amertume de la vie
Les scènes de la misère et de la pauvreté sont visibles partout dans la profondeur du désert. Elles marquent la vie des nomades des déserts nord et sud de la wilaya de l’Oued. Le moins que l’on puisse dire de leurs conditions de vie est qu’elles sont catastrophiques. Que ce soit en hiver ou en été.
Oncle Lakhdar, père d’une famille nomade, préfère rester au village Ben Kacha sur les frontières avec la Tunisie. Mais, il en a marre de cette vie. Il appelle les autorités de son pays à intervenir le plus tôt pour améliorer leurs conditions de vie. «Nous exigeons des responsables du pays d’accorder plus d’attention aux populations de la brousse, de mettre fin à la marginalisation que nous vivons aujourd’hui et de nous aider à fournir les aliments à nos bétails… même les tentes qui nous abritent ne peuvent plus faire face à la rudesse de la nature», déclare le vieux.
Non loin de lui, les nomades du village frontalier Douar Lmaa croupissent dans le même calvaire. Sous sa tente déchirée, Tata Yamina raconte les difficultés quotidiennes, notamment «la pauvreté (qui) s’enracine davantage dans la région». Elle ajoute : «Notre vie est caractérisée par la routine. Elle ne ressemble en rien à la vie d’êtres humains. Nos enfants portent des habits démodés. Depuis leur naissance, ils ne font que suivre les bétails aux pâturages. Certains d’entre eux coupent la végétation pour la vendre au marché hebdomadaire, à 50 km de notre village. Quant aux femmes, elles n’ont qu’un seul boulot: chercher du bois de palmiers et des arbustes pour préparer le repas; le tout dans des conditions extrêmement sévères».
Derrière cette tente, après quelques minutes de marche à pied, voilà l’oasis de palmiers. Tata Sa’dia résume: «Comme tu le constates, nous arrachons le bois des troncs de palmiers et ce depuis le petit matin. Nous devons préparer la nourriture des enfants» a-t-elle déclaré. La vieille lance ensuite un appel solennel: «nous détestons ce qui se passe et sommes fatigués de cette situation catastrophique. Nous exigeons que les responsables nous viennent en aide. Car, nos enfants meurent dans le silence».
Ces populations ne disposent d’aucun logement ou refuge. Elles vivent sous de vieilles tentes construites en palmes et en herbes locales. Pire : elles entassent des sacs d’aliments de bétail l’un sur l’autre, et voilà la salle d’accouchement. Selon Al Jabariya, celle qui fait office ici de sage-femme, «pendant l’accouchement, les femmes sont exposées à tous les dangers. Ici, de nombreuses femmes sont décédées pendant l’accouchement. Les autorités ne sont pas intervenues pour les secourir. Comme elles ne sont pas intervenues pour les sortir de l’enfer des maladies qui frappent leurs familles» a-t-elle dit.
Enfants à la merci de l’analphabétisme et de la saleté
La situation des enfants de la brousse n’est pas différente de celle de leurs familles. Ici, à Oued Al Alanda, à l’ouest du chef-lieu de la wilaya, les enfants vivent dans des conditions précaires et très dures. Ils font face à beaucoup de maladies. Un grand nombre de ces enfants est touché par la peste et la typhoïde ; deux maladies médiévales qui n’existent plus ailleurs dans le monde.
Ils dorment à terre. Ils se servent de couvertures faites de sacs vides de blé et de farine. Car, même l’acquisition de tentes tissées en poils de chameaux n’est plus à la portée de leurs familles.
Ces enfants sont exclus d’une vie décente. Ils n’ont pas accès à l’enseignement. Les plus chanceux parmi eux sont ceux qui peuvent faire des petits déplacements dans des conditions épouvantables dans la région. Mais, la plus grande partie d’entre eux est contrainte à rester dans l’activité d’élevage des bétails.
Le petit garçon Ali se trouve sur son lit de malade, sous une tente plus fragile que de la toile d’araignée. Sa mère, Fatma, est mécontente des amères conditions que vivent les populations locales et de l’indifférence des autorités. Selon elle «ici, nous recourons à des méthodes archaïques, notamment les plantes, pour soigner nos malades. Nous souffrons. Nous confrontons la mort plusieurs fois par jour. Nous nous armons de patience pour faire face à toutes ces tragédies. Car nous n’avons pas le choix».
Des Familles sans registre familial
Un autre aspect des souffrances des habitants nomads : des centaines de familles de ces contrées ne disposent pas de pièces d’état-civil. Elles n’ont jamais entendu parler des registres de familles. Elles ne savent même pas que signifie le terme ‘carte d’identité nationale’. Defacto, la quasi-totalité de ces populations ne s’était jamais inscrite sur les registres d’état-civil.
La question qui se pose alors est: quel traitement, les autorités leur accordent-elles lors des élections ? Selon le député de la moughataa Yahya Benine «Ces oubliés sont fracassés par les conditions naturelles et le caractère rude de la vie nomade. Les autorités, qui ne sont pas intervenus pour les aider à s’inscrire et à inscrire leurs enfants dans le registre de l’état-civil, contribuent à l’augmentation de leur exclusion et misère» a-t-il dit.
Ces misérables disent que les hautes autorités ne se souviennent de leur existence que quand il y a des élections. Selon Al Haj Taher «Malheureusement, nos responsables ne nous rendent visites que lors des élections et ce dans le seul objectif: que nous votions pour eux. S’il n’y a pas d’élections, ils restent loin de la misère dans laquelle nous vivons» a-t-il déclaré.
Entre les griffes des armes et de la drogue
Beaucoup d’habitants de ces oueds sont entretemps à la merci des réseaux de trafic des armes et de drogues le long de la bande frontalière et aux points de passage vers la Libye et la Tunisie. Leurs conditions de vie très difficiles, ainsi que les pressions dont ils sont l’objet, les ont impliqués dans des affaires de trafic d’armes et de drogues. Ils ont l’avantage de maitriser les voies et raccourcis du désert, impraticables à d’autres qu’eux.
L’implication dans ces commerces illicites d’un grand nombre de jeunes reste une probabilité. Ce qui constituerait un autre problème. Car, il y a les conséquences juridiques éventuelles. Mais aussi la possibilité de voir tout un mode de vie changer. Un mode de vie en voie de disparition, dans l’indifférence des autorités qui n’interviennent pas pour sauver ce qui peut l’être avant que ça ne soit trop tard.