Portant son nom comme une malédiction, Reggane, à cause de son éloignement et de sa configuration géographique (quasiment coupée du monde) a été la cible du colonisateur français pour effectuer ses essais nucléaires dans les années 1960 et plus tard… par le pouvoir algérien pour y installer un camp d’internement pour les islamistes dans les années 1990.
Le 13 février 1960, la France a procédé à des explosions nucléaires à Hammoudia, circonscription de Reggane. Des essais qualifiés par la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (Laddh) de “plus grand et plus dangereux essai nucléaire”
Pour rappel, entre février 1960 et avril 1961, dans cette région, la France a réalisé quatre essais nucléaires, portant les codes militaires Gerboise bleue, Gerboise blanche, Gerboise rouge et Gerboise verte.
La première explosion a développé “une énergie équivalente à quatre fois celle de la bombe d’Hiroshima. Le tir du 1er avril 1960, Gerboise blanche fut tiré sur un socle de béton au niveau du sol à une distance très excentrée des installations principales des points zéro. Les deux autres tirs aériens furent tirés au sommet d’une tour métallique d’environ 50 mètres de hauteur… » selon une enquête menée par ladite ligue.
Une tragédie que reconnaissait très peu l’armée française en prétendant que « les essais nucléaires français se situaient dans des régions inhabitées. 6 500 français et 3 500 algériens venus de différentes régions ont travaillé à la construction d'une base militaire à environ 7 kilomètres au sud de Reggane, réservée au commandement et aux experts chargés de l’ingénierie du projet... »
Pourtant, ces différentes explosions ont semé la mort et des handicaps au sein d’une population démunie.
56 ans plus tard, les victimes revendiquent toujours leur statut de « victimes des essais nucléaires français » et demandent réparation.
A ce sujet, le 30 juin 2009, L’Assemblée nationale française a adopté en première lecture par 300 voix contre 23, le projet de loi accordant réparation aux victimes des essais nucléaires. En ce qui concerne les Algériens, le ministre de la défense de l’époque, Hervé Morin, a déclaré que la France compte « considérer tous les travailleurs qui ont participé aux essais nucléaires français au Sahara entre 1960 et 1967. Toutes les victimes seront indemnisées selon des règles identiques ».
Force est de croire qu’à l’heure qu’il est, rien n’a été fait pour les victimes, d’où une pétition qui devrait être remise aux présidents français François Hollande et algérien Abdelaziz Bouteflika, pour « réclamer les droits du peuple algérien »
Maudite, Reggane fera reparler d’elle, trente ans plus tard, lorsque le gouvernement algérien, surpris par le raz de marée des islamistes du front islamique du salut (FIS) aux élections législatives.
Croyant sauver le pays d’une islamisation certaine, les autorités algériennes prendront la décision d’interrompre le processus électoral. Cela poussera « les vainqueurs déchus » à s’insurger, en organisant des « marches de désobéissance civile »
La réaction des responsables de l’époque a été expéditive, bafouant toutes les lois de la république. « Des citoyens algériens ont été arrêtés sans mandat et brutalement, pour être transférés de caserne en caserne, et finir par être séquestrés dans des camps implantés dans une zone ayant servie aux essais nucléaires, bactériologiques et chimiques, notamment Reggane… »
Ils sont des milliers à avoir été déportés de nuit dans ces camps de concentration. Beaucoup d’entre eux étaient des fonctionnaires, particulièrement des enseignants de tous les paliers (primaire, moyen, secondaire) et universitaire.
« Les lieux ayant servi à l’internement de milliers de citoyens (plus de 24 000) ont été sélectionnés particulièrement en raison de leur nocivité radioactive. La capacité des camps variait entre 1 500 et 3 500 personnes. Les personnes y ont subi des températures de -05° la nuit à +55° le jour, sous des tentes. L'eau, bien que disponible, était servie au compte goutte (…) En plus du rationnement « calculé » de l'eau, la nourriture était digne de ceux qui l'ont choisie pour nous. Quant aux traitements, des militaires sont allés jusqu'à user de leurs armes de guerre et il y a eu mort d'homme à Reggane. Le fait marquant est qu'un détenu, ancien combattant de la guerre d'Algérie, ayant perdu une jambe au cours d'un accrochage avec des troupes coloniales, a été froidement assassiné par un militaire, il s'agit de Hadj Hadri de Sidi Bel Abbes», témoignent des anciens internés.
Après la fermeture du camp en 1995, les libérés ont été assignés à résidence, avec obligation d'émarger deux fois par jour, soit dans une brigade de la gendarmerie, soit dans un commissariat de police.
En 2009, la majorité de ces internés ont bénéficié des dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, initiée par le chef de l’Etat Bouteflika. Ce qui explique qu’ils ont eu le droit de réintégrer leurs postes de travail. D’autres sans emploi, lors de leur arrestation, ont bénéficié d’une indemnité. Même si beaucoup d’entre eux estiment qu’ils sont toujours lésés dans leurs droits civiques.
« Cette loi sur la réconciliation nationale nous garantit d’élire et d’être éligible, mais en réalité, je n’ai même pas le droit d’activer dans un parti politique ! » raconte, médusé Abdelkader B. Vrai ou faux, toujours est-il que Reggane se souviendra longtemps qu’à l’évocation de son nom, on pensera malédiction, sinistre, mort…