Située à 6 00 kilomètres au sud d’Alger, la région est ébranlée par des heurts sanglants, en particulier à Ghardaïa, entre communautés berbère et arabe. Ou mozabites ibadites et sunnites malékites. Deux rites de l’islam.
Des violences que le pouvoir tentait d’abord de minimiser en jetant l’opprobre sur des « jeunes de quartiers s’affrontant pour des vétilles ». Une mauvaise lecture d’une situation qui allait exaspérer ce même pouvoir, douze ans plus tard, soit en 2013, lorsque des émeutes éclateront inexorablement le 24 décembre dans les quartiers de Souk et Hay El Moudjahidine, dans le centre-ville de Ghardaïa, avant de s’étendre dès le lendemain à d’autres parties de la ville.
Bilan : une dizaine de magasins, situés dans le quartier de Theniet El-Makhzen et dans le centre, ont été incendiés en marge des affrontements. Selon des sources hospitalières, en trois jours, les violences ont fait plusieurs dizaines de blessés et de nombreuses arrestations. Depuis, un climat de peur s’est installé dans la ville. Les violences s’estompent puis reprennent à une cadence irrégulière. Les affrontements entre la fin 2013 et tout au long de l’année 2014 font une quinzaine de morts au total, principalement mozabites.
Au moment des violences, Kameleddine Fekhar, fondateur de Tifawt (« lumière ») une fondation qui « œuvre pour protéger et promouvoir les droits du peuple berbère » déclare à la presse que « des bandes de malékites arabophones ont envahi les quartiers mozabites sous le regard complice des forces de sécurité »
Des propos qui choquent, car l’activiste, considéré comme une des figures radicales des Mozabites, désigne l’agresseur et met en cause la neutralité de fonctionnaires de l’Etat. Mais, ce conflit algéro-algérien prendra une autre tournure : des politiciens en mal d’inspiration, proches du régime, pointèrent un doigt accusateur en direction du Maroc, un pays qui serait derrière cette tension.
Des pays étrangers pointés du doigt
La chaîne de télé privée Ennahar (Le Jour), citant les résultats d’une enquête menée par les services de sécurité, avance que le royaume chérifien, par le biais d’un conseiller royal, chargé de questions culturelles » aurait financé la création du Mouvement pour l’autonomie de la vallée de M’Zab dirigé par Kamaleddine Fekhar et promis d'apporter un soutien logistique au MAM dans les instances internationales »
Une accusation qui deviendra officielle, lorsque le premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, alors en réunion avec les notables à Ghardaïa en juillet 2015, accusera ouvertement le Maroc d’être l’instigateur des tueries « les affrontements meurtriers qui avaient secoué la vallée du M’Zab ont été mis à exécution par des représentants de la population en exécution d’un plan financé par un pays frère mais aussi par d’autres qui ne le sont pas»
Les affrontements atteignent leur paroxysme en juillet 2015. Le 14 juillet, l’agence de presse officielle Algérie Presse service (APS), annonce un bilan de 23 morts à l’issue des violences communautaires qui ont touché la semaine précédente la région.
Mais, qu’est ce qui pousse des Algériens, aussi différents qu’ils soient rituellement, à s’entretuer ?
Une interrogation à laquelle le maire de la ville, Yahia Abaza, rétorque laconiquement «Je ne comprends pas ce qui se passe à Ghardaïa moi-même, comment voulez-vous avoir une explication. Je ne comprends plus rien » Une réponse qui en dit long sur un conflit complexe que d’aucuns tentent d’interpréter à leur manière… avec le risque de léser l’une des deux parties belligérantes.
Si la cause de cette nouvelle flambée de violence est en effet inconnue, de nombreux différends, en particulier d’ordre foncier, opposent Arabes et Berbères. L’arrivée de nouveaux habitants, en particulier des nomades arabes, dans les années 80, menace l’équilibre démographique à Ghardaïa.
Dans la ville, étouffée par les flammes et la fumée, les affrontements continuent farouchement. Avec la même haine. Les appels au calme des autorités civiles et militaires et de ce qu’on appelle les notables de la cité sont vains. Le mal est profond et redouble de férocité.
L’armée appelée en renfort
Face à la recrudescence des violences, le Premier ministre algérien Abdelmalek Sellal se déplace sur les lieux pour assurer que l'État était « déterminé à prendre les mesures appropriées et fermes pour éradiquer toute forme de violence et rétablir la quiétude et la paix dans la région (…) L'armée a "toutes les prérogatives pour rétablir l'ordre même en instaurant un couvre-feu… » Les manifestations et les attroupements sont, alors, interdits.
Un semblant de calme revient dans la région. Même si une insignifiante étincelle peut tout remettre en cause.
Et l’incendie est rallumé avec l’arrestation de Kameleddine Fekhar que le pouvoir considère comme l’homme par qui le mal est arrivé.
Le 9 juillet 2015. 22h 30, l’emblématique figure mozabite de Ghardaïa et une trentaine de ses compagnons sont arrêtés à leur sortie de la mosquée du quartier de Rai. Une unité de police, lourdement armée, quadrille les alentours de la mosquée. L’arrestation musclée, selon des témoins, justifiée par un mandat d’arrêt lancé le matin même par le juge instructeur de la ville. Aussitôt, la communauté mozabite à laquelle appartient M. Fekhar, exprime son indignation, en considérant que le conflit de Ghardaïa « ne réside pas en la personne de Kameleddine »
A l’issue de leur interrogatoire par le juge, Kameleddine Fekhar est accusé de complot visant à créer une organisation nuisible. Il est condamné par la Cour de Ghardaïa à une année de prison ferme et interné à la maison d’arrêt de Menéa.
Grève de la faim de Kameleddine Fekhar
Moins d’un an plus tard, le 5 mars 2016, la famille de Kameleddine Fekhar appelle le secrétaire général de l’ONU à intervenir auprès du gouvernement algérien pour obtenir la libération du militant
L’appel n’aboutit pas et le 15 novembre M. Fekhar entame une grève de la faim dans la prison de Menéa, pour protester contre sa détention jugée arbitraire. Le 26 novembre, lors d’une conférence de presse, son avocat, Salah Dabouz, affirme que l’état de santé de son client se dégrade de jour en jour. « Je l’ai vu très atteint, faible. Son état de santé m’inquiète, surtout qu’il refuse de renoncer à la grève jusqu’à sa libération ».Dans la même conférence, Me. Dabouz informe l’assistance que « 130 autres personnes emprisonnées dans cette affaire sont empêchées de pratiquer leur rite ».
29 novembre 2016. Nöel Mamère, député de la Gironde (France) interpelle le ministre français des affaires étrangères Jean-Marc Ayrault sur la « situation extrêmement urgente du Dr Fekhar ». Dans sa lettre, l’élu explique qu’il a été alerté par le comité de soutien au Docteur Fekhar de la dégradation de l’état de santé de ce dernier. « Médecin, militant pour les droits humains en Algérie, il a entamé dans les geôles, qui le retiennent depuis maintenant plus d’un an, une grève de la faim dont l’issue pourrait être la mort…. » et de conclure « Monsieur le Ministre, la situation est extrêmement urgente : le Docteur Fekhar représente, par son courage et la détermination de son combat, un espoir pour les Mozabites d’être entendus. Ne traitons pas son sort avec indifférence »
Voilà un conflit qui se déroulait « intra muros » qui, mal géré par le gouvernement, risque de mettre à mal l’Etat algérien au niveau diplomatique. Un Etat qui a toujours rejeté avec véhémence à l’ingérence étrangère.
La vallée du M’zab est meurtrie. « A la crise identitaire s’est ajoutée une frustration sociale concernant essentiellement la jeunesse. Le chômage de masse des jeunes, qui touche davantage les habitants du grand sud algérien, accentue le climat politique malsain dans la région de Ghardaïa. La majorité des émeutiers sont issus de quartiers populaires où les perspectives d’un avenir meilleur sont perçues comme utopiques. Cette frustration sociale s’explique aussi par le décalage entre un chômage de masse et les ressources gazières de la région... » tente d’expliquer Mohamed Chaouchi diplômé de l’Université de Reims et qui a consacré son mémoire de recherche aux émeutes de 2013-2014 dans la vallée du M’zab.
Ghardaïa, ville aux mille ans, à l’architecture ensorcelante, donne l’impression de somnoler. Les habitants vaquent à leurs occupations. Paisiblement, mais difficilement. Socialement, l’an 2017 s’annonce rude pour les Algériens après l’approbation de la loi de finances.
Encore une dure épreuve pour un peuple aux horizons imperceptibles…