Ce n’est qu’en 2009 que le gouvernement français a reconnu les torts de l’Hexagone et décidé d’indemniser les victimes. Mais il sera difficile pour ces dernières de prouver que les maux dont elles souffrent sont réellement les conséquences de ces essais. Mohamed, 41 ans, triture nerveusement le chèche qui lui couvre le crâne et le protège d’un soleil de plomb. Il n’était pas encore né à l’époque mais l’histoire des essais nucléaires français est inscrite dans ses gènes lui qui souffre de cécité partielle. «Les médecins sont convaincus que mon état est le résultat de cette « bombe ». Je ne suis pas le seul d’ailleurs. D’autres personnes ici souffrent de cancers et de maladies mentales. Des enfants naissent avec des malformations. Des personnes âgées disent aussi que les palmiers ne donnent plus de dattes depuis que les Français ont provoqué ces explosions », dit-il d’emblée. Ses yeux sont rivés vers le ciel comme s’il essayait d’entrevoir la lumière. Il raconte que son père leur avait parlé de nuages volumineux dans le ciel et qui prenaient racine sur cette terre désormais « maudite ».
Abderrahmane est lui aussi persuadé que le cancer qui ronge trois membres de sa famille est le résultat de ces expériences hasardeuses. « Les parents et les grands parents de ces cancéreux vivaient pas loin de la zone concernée. Les pauvres pensaient qu’il s’agissait de la fin du monde », souligne-t-il. Ce n’était certes pas le jour du jugement dernier, mais bel et bien le début d’une vie infernale faite de maladies et de souffrances. Peu de familles ont échappé à ce supplice. Les Français n’avaient pris aucune précaution et n’avaient pas jugé utile d’évacuer les populations locales. Ils ne mesuraient pas non plus les conséquences d’une telle expérimentation sur le personnel scientifique et militaire français qui était sur place. Les « vestiges » de ces essais sont visibles dans certains endroits.
Entre les galets de sable vitrifiés qui tapissent cette commune située dans le Nord du désert de Tanezrouft, on peut trouver des casques de soldats ainsi que des barils d’hydrocarbures. Il y a aussi des morceaux de métal et d’acier qui trouvent revendeurs dans cette région pauvre en activités économiques. «Un héritage » laissé par les Français et dont les algériens se seraient bien passés. Les habitants de Reggane ont également retrouvé des cages d’animaux. Les malheureuses bètes ont servi de cobayes pour les expériences et ont été exposés aux produits radioactifs. Autant dire que la désolation règne dans ce capharnaà¼m de dunes et de sables.
Certains endroits s’apparentent à de véritables no man’s land. C’est sans doute ce qui a motivé les Français à choisir ce site pour effectuer leurs travaux d’expérimentation afin de rejoindre le gotha des nations devenues puissance nucléaire. Un travail de titan y avait été réalisé en ces temps là . L’on a fait ériger d’abord un Centre Saharien d’expérimentations militaires (CSEM). Pas moins de 6500 Français et 3500 Algériens ont été mobilisés pour construire une base militaire qui devait abriter le commandement militaire et les experts. Quatre essais ont été effectués. Le premier, au doux nom de Gerboise Bleue, était d’une puissance telle que les experts l’ont estimée à quatre fois celle de la bombe d’Hiroshima, au Japon. Mais si ce triste épisode est resté dans les annales, Hiroshima ayant été la première cible des deux bombardements atomiques de l’Histoire, perpétrés par les États-Unis, Reggane, elle, sombre chaque jour un peu plus dans l’oubli. Seules les victimes directes et indirectes continuent à subir les contrecoups des essais nucléaires qui ont dévasté toute une région. Des victimes abandonnées à leur triste sort, sans la moindre prise en charge ni française ni algérienne.
La Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH) milite depuis des années pour la vérité sur ces essais afin de faire face aux effets des explosions, notamment le plutonium répondu dans l''atmosphère avec tous ses effets dangereux pour les milliers d''années à venir. La LADDH qualifie ces essais de « crime contre l’humanité » qui restera imprescriptible jusqu’à ce que leurs auteurs le reconnaissent et réparent les dommages constatés. Malgré la promulgation d’une loi en France pour indemniser les victimes des essais nucléaires français à l’étranger dont l’Algérie, la population de Regane demeure insatisfaite.
Pour le président de l’Association 13 février 1960 de la wilaya d’Adrar, Abderrahmane Kessasi, le traitement de ce dossier ne doit pas se limiter à une simple affaire d’indemnisation des victimes irradiées par ces essais. M. Kessasi milite ainsi pour « la reconnaissance des crimes commis contre des populations innocentes et leur pays, à savoir l’Algérie, et pour la réhabilitation de cette région de Regane meurtrie dans les tous les secteurs ». L’association qu’il préside réclame « toute la vérité » sur les circonstances dans lesquelles ont été effectués ces essais qui se sont poursuivis jusqu’à 1967 (5 ans après l’Indépendance acquise en juillet 1962).
La Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (Forem), présidée par le professeur Mostéfa Khiati, demande, pour sa part, à ce que la France finance deux centres de diagnostic et forme leur personnel au niveau d’Adrar et Tamanrasset. Comme elle réclame à ce que l’Etat français prenne en charge médicalement tous les cas médicaux avérés. Du côté officiel, c’est le silence radio. Les autorités algériennes n’évoquent presque pas le sujet, laissant le soin aux responsables français d’en parler.
Ainsi, lors de sa visite en Algérie en décembre 2014, le ministre français de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, avait annoncé l’installation d’une commission mixte algéro-française qui s’évertuera à examiner et d’analyser les dossiers des victimes un par un. Cazeneuve avait relevé que la loi a été votée en 2010 par le gouvernement français, consacre le principe de l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Si elle semble facile à obtenir pour les Français, cette indemnisation vient au bout d’un long processus semé d’embà»ches pour les victimes algériennes qui sont pourtant dix fois plus nombreuses. Selon certaines estimations fournies par des ONG, comme la LADDH, il y aurait plus de 30.000 victimes algériennes contre seulement 300 du côté français. Une « injustice » que la population de Reggane continue de dénoncer