Même avec ça, Mohamed est formel : «du terrorisme, la population retient surtout la mort, il n’y a pas longtemps, d’un jeune chasseur du côté d’Amizour, tué par des terroristes, selon la gendarmerie ». Il faut toutefois souligner que le meurtre en question a été suivi par une grande mobilisation de la population locale à travers une marche «pour réclamer vérité et justice puisque certaines personnes pensent que c’était plutôt une bavure militaire».
Comment se fait-il maintenant que Bejaïa ait été si miraculeusement épargnée par le terrorisme alors que ses wilayas voisines ont souvent vécu l’enfer ? «A mon avis, il n’y a pas eu grand-chose à travers le territoire de la wilaya pour deux bonnes raisons. D’abord les groupes terroristes n’y ont trouvé aucun soutien et puis il est établi que Bejaïa ne leur sert que de lieux de passage », soutient Djamal, un médecin exerçant depuis 15 ans au chef de la commune d’Akbou connue aussi pour être l’un des plus grands pôles industriel de la Kabyle.
Un fonctionnaire de police de la région impliqué dans la lutte anti-terroriste au niveau local pense pour sa part que « c’est la pression de l’armée qui a fini par faire fuir de la région le gros des terroristes». Selon lui, «une partie importante des éléments d’Aqmi, ou ce qui en reste, se sont réfugiés en Libye ou au Sahel ». Il rappelle, en outre, que les nombreux ratissages effectués ces derniers mois dans la région par les services de sécurité ont permis de découvrir et de détruire de très nombreuses caches d’armes. Les opérations des troupes spéciales de l’armée algérienne ont débouché également sur l’élimination ou la capture de plusieurs chefs terroristes dont certains ont pris le maquis durant les années 90. Mais à Bejaïa, les prises importantes restent limitées.
Bejaïa, la coquette wilaya côtière que les estivants prennent d’assaut chaque été, n’a pas trop souffert des affres du terrorisme. Ses habitants appellent même affectueusement leur patelin « la petite Suisse». «A l’inverse des wilayas qui l’encerclent, Bejaïa est une wilaya sûre, sereine et paisible. Cette année, hormis les quelques agressions qui ont été signalées ici et là et deux ou trois meurtres, généralement liées aux milieux de la drogue et du banditisme, il n’y a rien de spécial à signer », explique doctement Mohand, un instituteur de français dans la daïra d’Amizour.
Les coups de filets les plus conséquents ont eu lieu à Tizi-Ouzou, Bouira et Boumerdès, trois wilayas qui ont formé durant des années une sorte de triangle de la mort. Ce triangle infernal constituait la terrifiante « zone 4 » du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) de Hassan Hattab, entité qui a fini par se muer en Aqmi au début des années 2000.
La Kabylie est constituée de quatre wilayas : Bejaïa, Bouira et Tizi-Ouzou et une grande partie de Boumerdès. Ce vaste territoire, connu depuis les années 80 pour être aussi l’un des principaux bastions de la lutte pour la démocratie en Algérie, n’a pas été touché dans son ensemble par le terrorisme.
Mais contrairement à l’image qui en est donnée par la presse, la vie au quotidien dans cette région montagneuse se jetant par endroits dans la Méditerranée y est plutôt paisible. Rien n’indique en effet que c’est là que se terre l’insaisissable chef d’Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Abdelmalek Droukdel. Aqmi est le groupe terroriste qui sème la terreur au Maghreb oriental et au Sahel depuis des années.
Là aussi, la situation s’est désormais considérablement améliorée. Les écoliers ne trouvent plus sur les bas-côtés des routes communales lorsqu’ils se rendent à l’école des têtes coupées. «Il n’y a aucune commune comparaison entre le climat sécuritaire des années 90 et celui d’aujourd’hui. Maintenant, il n’y a pratiquement plus de faux-barrages, d’attentats ou d’enlèvements de personnes. Même le racket a tendance à disparaitre», assure un commerçant originaire de Boghni, une petite localité située à environ 38 km au sud-ouest de la ville de Tizi-Ouzou.
Boghni était connu pour être le tombeau des forces de sécurité et citoyens ayant pris les armes pour défendre leurs villages des assauts terroristes. Les policiers et les militaires y ont été assassinés par dizaines entre 1993 et l’année 2000. « Il m’arrive très souvent de faire la route Alger-Boghni ou Tizi-Ouzou-Boghni très tard le soir ou très tôt le matin pour me ravitailler en marchandises. R.A.S », indique-t-il avec, en guise de conclusion, un profond « Hamdoullah » (Dieu merci, Ndlr).
Mais, si le calme est revenu dans la région, ce n’est pas pour autant que les check-points de l’armée ont disparu. Au contraire, ils sont nombreux et la présence des services de sécurité y est très visible. Il faut dire que depuis l’assassinat le 23 septembre 2014, par le groupe terroriste Djound Al Khalifa, la filière algérienne de Daech, de l’alpiniste français Hervé Gourdel à Bouira, l’armée a mis le paquet pour «nettoyer» durablement la Kabylie du terrorisme. Le malheureux français a été kidnappé par les éléments de Djound Al Khalifa près de la station de skis de Tikjda, située à cheval entre les wilayas de Tizi-Ouzou et de Bouira, avant d’être décapité non loin de là.
Pour neutraliser les éléments du groupe terroriste, né d’une scission d’Aqmi, le gouvernement a mobilisé plusieurs milliers d’hommes. Il faut dire que la mort d’Hervé Gourdel a beaucoup impacté l’image de l’Algérie, surtout que le kidnapping du français a été suivi quelques mois après par une attaque sanglante, dans la même région, d’un détachement de l’armée qui s’est soldée par la mort de beaucoup de soldats. Pendant des semaines, la région a été passée au peigne-fin. L’opération ne s’est terminée que lorsque l’armée a éliminé l’ensemble des éléments de Djound Al Khalifa. Même son chef a été abattu. Pour ainsi dire, le groupe a été étouffé dans l’œuf.
Boudée un certain temps par les visiteurs, la station d’hiver de Tikjda qui surplombe toute la Kabylie est de nouveau très fréquentée. Son unique hôtel affiche complet à chaque week-end. Cela pourrait vouloir dire que les gens n’ont plus peur de s’aventurer seuls en haut montagne et qu’ils se sentent en sécurité. «Ici, depuis la mort d’Hervé Gourdel, nous n’avons enregistré aucune exaction terroriste. Par moments, il y a eu des rumeurs évoquant une présence de terroristes mais cela est resté au stade de la rumeur. J’espère que la situation restera ainsi. Je touche du bois», indique Kamel, un étudiant en Médecine à Tizi-Ouzou, originaire du village de Takerbouste, situé à un jet de pierre de Tikjda.
Mais tous les habitants de la région disent que la Kabylie ne pourra véritablement dormir sur ses deux oreilles que lorsque l’armée aura enfin la tête de l’émir d’Aqmi.