Sauf que Rachida, Manel, Ayoub et d’autres n’ont pas rejoint les bancs des classes et n’auront donc pas cette « chance d’assimiler les valeurs de la glorieuse guerre de libération » Ceux-là habitent à mille lieux des grandes agglomérations, sur des collines, au pied des montagnes, là où le transport n’y a pas accès.
« Nous avons décidé d’un commun accord, nous pères de famille, de ne pas envoyer nos enfants à l’école, distante de 7 kilomètres de nos domiciles. Nos filles, surtout, grandissent (entre 10 et 11 ans). Les promesses des autorités locales consistant à nous garantir le transport scolaire, n’ont pas été tenues. Nous avons trop peur pour nos enfants parce que nous ne voulons pas le regretter dans un environnement où le kidnapping des mêmes est devenu quasiment une banalité » a déclaré avec amertume, Bachir, un membre de l’association des parents d’élèves d’une commune de l’extrême ouest du pays.
« Ne citez pas ma bourgade s’il vous plaît, car cette décision de retirer nos enfants de l’école peut facilement être assimilée à une action politique, alors que nous ne sommes affiliés à aucune formation politique, ailleurs la plupart des parents d’élèves ici sont illettrés, de petits agriculteurs » nous-a-t-il demandé.
Dans le village de Chebikia, à quelques 15 kilomètres de Maghnia sur la frontière avec le Maroc, des parents d’élèves ont clairement affiché leur refus de garder leurs enfants à la maison. L’association en a informé les responsables de wilaya et le ministère de l’éducation « L’établissement de nos enfants ressemble à tout, sauf à un espace pédagogique. Il ne dispose ni de toilettes, ni d’éclairage, encore moins du minimum de commodités permettant à nos petits de suivre leur cursus dans des conditions décentes… »
Dans un communiqué, ladite association dénonce les mensonges des élus « les élus locaux ont été longtemps informés des carences de cette école, mais rien n’a été fait. Le transport scolaire est insuffisant, ce qui nous a amené à retirer beaucoup de nos filles de l’école. En hiver, il fait nuit quand elles sortent de la maison et il est normal qu’on ait peur pour elles. Nos enfants sont délaissés et nous ne sommes pas prêts à les laisser partir rejoindre leurs classes tant que le minimum des conditions ne leur soit offert… »
Et il y a des pères de familles qui, ne pouvant faire face aux dépenses liées à la scolarité (fournitures scolaires, vêtements, absence de cantine et de transport…) ont carrément mis fin au cursus de leur progéniture. « J’ai du mal à nourrir ma famille, mes deux garçons de deuxième et troisième année moyenne (12 et 13 ans) ont de mauvaises notes, n’ont pas l’esprit aux études et je ne les en veux pas, parce que aller à l’école est un calvaire pour eux : se taper 10 kilomètres aller-retour, déjeuner avec deux tomates et deux œufs à midi, se lever très tôt le matin n’est certainement pas motivant pour les études. Ils perdent leur temps dans des classes gelées en hiver. Je vais les initier au travail, peut-être qu’ils auront une meilleure vie que moi… » juge Noureddine qui reconnaît que priver un enfant de l’école est pratiquement un crime « Mais, que voulez-vous, ce n’est pas de ma faute si je suis pauvre et la prime de scolarité de 3 000 DA (moins de 20 euros par enfant) est une honte »
Loin des discours pompeux des autorités qui louent l’enseignement gratuit, des enfants de la campagne, certains résidants à quelques pas des établissements scolaires, tournent le dos au savoir. « Il est déjà difficile d’assurer le pain quotidien à ma nombreuse famille, que serait-ce prendre en charge les frais de scolarité de nos enfants. Mon choix douloureux a été fait : nourrir mes enfants passe avant leur scolarité et s’il y a quelqu’un qui doit être puni, ce n’est certainement pas moi… » conclut Ali, la voix enrouée et le visage émacié.
« L’enseignement pour tous » ressassé par les autorités à tous les niveaux, est un slogan qui sonne faux face à la réalité d’une société qui perd ses repères. Dans un pays où on continue à remémorer et dépoussiérer la « glorieuse guerre de libération pour mettre en avant ses valeurs… »