En effet, en faisant un tour à travers certaines communes de la wilaya, telles que Chattia, Aouled Fares, Al Ardh Al Baidha, Sinjas, Oued Saly, Sabha jusqu’à Boukadir, on peut rencontrer des enfants qui, malgré leur très jeune âge et la fragilité de leur constitution physique, sont entrés très tôt dans le monde du travail. A la question de savoir quelle en sont les raisons, ils répondent d’une seule et même voix : « Ce sont les conditions financières difficiles où se trouvent nos familles qui nous ont poussés à quitter les bancs de l’école. Nous devions travailler pour faire vivre nos proches démunis ».
« J’ai commencé à faire ce travail pendant les week-ends dans le but de gagner quelques dinars qui me permettraient d’aider ma famille… », nous confie Abbes. Cet enfant de neuf ans qui vit dans la commune d’Awled Fares poursuit en disant avec amertume : « Avec quelques un de mes amis du village, nous nous sommes donc privés du repos pour entrer très tôt dans le monde de l’épuisement, là où nous étions sensés passer le week-end à jouer et à nous promener… ».
Dans la wilaya du Chlef, le phénomène connaît, depuis quelque temps, une terrible expansion, sans que les autorités ne prennent la moindre petite mesure pour y mettre fin ni pour trouver une solution quelconque qui fasse que ces enfants et leur familles n’aient plus à se tenir pendant de longues heures sous le soleil brûlant à la recherche de quelques pauvres dinars.
Notre ronde avait commencé par le marché des légumes et fruits de la commune de Chattia, célèbre pour connaître une très grande affluence tout au long de la semaine. Une scène surprenante nous y attendait : des dizaines d’enfants, filles et garçons, se tiennent en file aux entrées du souk en essayant d’attirer notre attention et en nous suppliant d’acheter leur marchandise. Ils vendent de tout : fruits, légumes, viandes, pain, olives, fromages en tous genre, en plus de sachets et d’herbes variées… Le plus important pour eux, c’est d’attirer les clients et de « les convaincre de nous faire gagner un peu d’argent », comme ils disent.
Agé d’une douzaine d’année, Abdelkader est l’un de ces enfants. En nous arrêtant devant lui pour lui prendre quelques œufs, il nous a confié : « J’ai arrêté mes études l’année dernière car j’étais bien obligé d’entrer dans la vie active ; je devais subvenir aux besoins de ma famille nécessiteuse ».
En effet, son père étant décédé depuis deux ans, il s’était senti responsable de sa famille, ce qui l’a poussé à quitter les bancs de l’école et à se diriger vers le monde du travail afin de faire vivre sa mère et sa petite sœur de sept ans dont il dit qu’il va « travailler jour et nuit pour qu’elle puisse finir ses études ». C’est d’ailleurs avec un regret incommensurable et un engagement sans fond qu’il a prononcé ces promesses.
La route reliant Chattia à Aouled Fares grouille de vendeurs, en majorité des enfants, qui exposent leurs fruits et légumes sur le bord de la route, sous un soleil de plomb dont ils essaient de s’abriter derrière les arbres du bas-côté, en attendant qu’un client veuille bien s’arrêter devant leur marchandise.
Autre spectacle devenu courant pour les habitants de la région : celui des enfants qui travaillent comme receveurs dans les bus du transport rapide. En effet, c’est le métier le plus répandu ces derniers temps car les propriétaires de ce type de véhicules préfèrent employer des enfants afin de « profiter » du fait qu’ils ont moins de charges, moins de plaintes et moins d’exigences.
Aammari est un enfant de treize ans qui travaille comme receveur à bord d’un véhicule de transport en commun reliant Sabha et Boukadir. « Je travaille à bord de ce bus depuis plus d’une année. Parfois, le véhicule s’arrête de fonctionner à cause d’une panne mécanique, ce qui m’oblige à aller travailler dans les souks en vendant ma propre marchandise ou en aidant les propriétaires d’étalages à vendre leurs fruits et légumes. », nous raconte-t-il.
Aammari explique encore qu’il n’est payé que 12 mille dinars pour ce travail et que chaque fois qu’il demande une augmentation, le propriétaire du bus la lui refuse arguant l’insuffisance de la recette ou les pannes mécaniques… Quant à l’assurance, c’est un terme qui n’a aucune existence dans le lexique des transporteurs du secteur privé.
D’autre part, et selon des témoignages venant des habitants, la véritable catastrophe qui s’est abattue sur les enfants de la région se trouve plutôt dans les chantiers de construction privés et publics, ainsi que dans divers autres projets où les promoteurs « font appel à la main d’œuvre infantile pour combler le manque d’ouvrier dans le secteur, exploitant ainsi la misère des enfants en bas âge en leur faisant subir des peines plus lourdes que ce qu’ils peuvent endurer contre de bien maigres rémunérations ». C’est du moins ce que certains de ces habitants assurent. Aussi ont-ils exprimé toute la colère que soulève en eux cette absence totale de responsabilité aussi bien de la part des chefs de projets que de la part les parents qui acceptent que leurs progénitures travaillent dans ces chantiers où les moindres mesures de protection et de prévention font défaut. Déplorant les dangers courus par la main d’œuvre adulte et infantile au sein de ces projets, les habitants attribuent enfin la responsabilité de ces négligences courantes aux autorités de tutelle et les appellent à y mettre fin.