Les maîtres révèlent que la musique arabo-andalouse, comme son nom l’indique, est l’héritière des Morisques et les juifs sépharades expulsés d’Andalousie (devenue catholique) en 1492. A vrai dire, une implantation dans tout le Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie)
Un héritage qui a créé trois écoles ; Tlemcen à l’ouest (hawzi) Alger au centre (chaâbi) et Constantine à l’est du pays (malouf). Chacune d’elles a ses spécificités sans pour autant que celles-ci aient altéré leur originalité. Pour un temps, peut-être… Puisque de nouveaux compositeurs et auteurs tentent, au nom de la modernité, de l’ « améliorer », lui donner un « nouveau souffle ».
L’une de ces artistes qui ont osé apporter du « neuf », Lila Borsali, auteure et interprète de Tlemcen assume en déclarant « je ne crains d’altérer l’âme de ce style en le modernisant » car, dit-elle encore « Créer n’est pas effacer. Créer, ce n’est pas tourner le dos à ce qui existe déjà pour faire autre chose ! On ne crée jamais à partir de rien. Au contraire, c’est profondément imprégné de ce que l’on a déjà acquis que l’on peut dynamiser de l’intérieur un espace auquel on croit. Notre patrimoine risquerait fort de disparaître s’il reste fermé à des sensibilités neuves et donc à la création… »
Nassima Chaâbane est aussi adepte de l’ « innovation » de la chanson andalouse. Elle en parle avec conviction, avec cependant des précisions « Concernant la nouba classique on ne peut pas changer sa structure, c'est un patrimoine. C'est une musique modale. Basée sur le mode, il faut absolument respecter sa nature, sa structure, ses mélodies telles quelles comme la musique classique universelle de Mozart, Tchaïkovski, Rossini ou Bizet, ne peut pas être modifiée. Elle est écrite en partitions, sauf que le musicien quand il joue ou bien interprète les airs, il apporte sa sensibilité, une technique vocale, des broderies dans l'interprétation, mais la structure authentique demeure. En 1984, j'étais la première dans les annales de la musique arabo-andalouse à avoir chanté et joué de bout en bout avec l'orchestre symphonique. Ceci dit, je l'ai fait après avoir interprété toutes les noubas avec un orchestre traditionnel, doté d'instruments traditionnels. Tels la kouitra, la mandoline, l'oud, le rbab, le qanun etc.. J'ai aussi interprété le chant et la musique andalouses sous la direction de plusieurs chefs d'orchestre dont Abdelwahab Salim qui dirigeait l'orchestre symphonique, Haroun Rachid, Nachid Bradaï qui étaient ou sont encore de vrais lecteurs de la musique au sens propre, dans sa base universelle et scientifique. Ils ont d'ailleurs ouvert des écoles à l'étranger. J'ai travaillé aussi avec Cherif Kortebi...Pour répondre à votre question sur la modernisation de la musique andalouse, je vous dirais qu'il s'agit là d'un patrimoine qu'il faut conserver. Cela ne veut pas dire être rigide. On peut l'améliorer comme je vous l'ai dit, dans l'interprétation, dans le texte, la poésie, les mots, pour lui insuffler des couleurs, des nuances en matière vocale. Il y a des instruments qui vont avec et d'autres non. Le synthétiseur dénature la musique andalouse. Je suis contre. Mais quand je veux créer - je suis auteure, compositeur et interprète- eh bien, je le fais, mais en dehors de la nouba. Au contraire je préfère que cette dernière demeure authentique, mais on peut l'embellir comme je vous l'ai dit sur le plan vocal, le jeu instrumental. On doit la respecter. Comme le répertoire universel. Il est écrit. Celui qui veut inventer des choses, le fait mais en dehors de la nouba… »
L’artiste Akim Sikameya, chanteur, compositeur et parolier d’Oran dit simplement « J’ai du mal avec le terme « moderniser », je préfère « innover ». Car moderniser signifierait que la musique arabo-musulmane est une antiquité, alors qu’elle est en elle-même très moderniste. On la joue encore plusieurs siècles après sa création »
L’auteur Fazilet Diff s’interroge « Est-il sage de vouloir modifier un héritage au gré du jour et des humeurs et au nom de la modernité ? Les conservateurs, défenseurs du respect de la tradition musicale dans toute sa noblesse, sont régulièrement associés à la rigidité et à la stagnation parce que prétendument opposés au changement. On leur reproche de ne pas accepter l’évolution et de vouloir garder la musique andalouse figée en l’état. La musique est l’un des fondements identitaires d’une société. Bouleverser sous prétexte de modernisation n’est ni simple ni sans conséquences » Et d’ajouter « Au cours de ces dernières années, les musiciens se sont autorisés de nombreux arrangements rythmiques, des adaptations et modifications de toutes sortes à la faveur des enregistrements, rendant les répertoires accessibles à tous »
En attendant de trouver un terrain d’entente entre les uns et les autres, la musique andalouse continue d’exister et de réunir autour d’elle jeunes et vieux mélomanes…