Sans surprise donc, la loi de finances de 2017, comme celle de 2016, a prévu des nombreuses mesures d’austérité et surtout de nouvelles taxes. Le défi des autorités algériennes est de réduire de moitié le déficit budgétaire.
Pour y parvenir, le chef de l’Etat n’a donc eu d’autre choix que de procéder également à des coupes budgétaires et de demander aux Algériens de se serrer la ceinture. Ayant évité jusque là de parler de crise, il a dû reconnaitre en février 2016 une baisse de 70 % des revenus pétroliers en moins de deux ans. Depuis, la situation a continué à se détériorer : les recettes tirées des exportations d’hydrocarbures sont tombées à 11,52 milliards d’euros au premier semestre, contre 17,20 milliards sur la même période en 2015.
Coupes budgétaires et gel de projets
Les coupes budgétaires décidées par le gouvernement algérien concernent essentiellement les dépenses d’équipement, réduites de 28%. Sur le terrain, plusieurs projets, prévus dans le programme quinquennal 2014-2019, ont déjà été gelés. «L’État cherche à rationaliser ce poste de budget, en trouvant des solutions de financement alternatives, à travers notamment le mécanisme des PPP [partenariats public-privé]» relativise dans une conférence de presse Alexandre Kateb, membre de la «task force», le groupe d’intervention composé de six experts qui accompagne le Premier ministre algérien Abdelmalek Sellal. Celui-ci reconnait néanmoins que «l’Algérie a besoin d’un baril supérieur à 80 dollars » pour sortir de la zone rouge alors qu’il se stabilise pour le moment à peine à 50 dollars.
La loi de finances comprend aussi une série d’augmentation de taxes. La TVA a ainsi grimpé de deux points, passant de 17 à 19%. Le taux d’inflation a, quant à lui, augmenté pour atteindre les 7 % en février 2017. Depuis janvier, les Algériens ont donc dû payer plus cher les produits de consommation courant. Leur pouvoir d’achat commence d’ailleurs à être durement touché alors que leurs salaires sont pratiquement gelés. Les ménages sont par ailleurs confrontés à une hausse des prix de l’énergie et des carburants. Pour ce qui est de l’emploi, les importantes diminutions de la commande publique, véritable moteur de l’économie algérienne, commencent à avoir un impact sur l’activité. Elles entraînent déjà des licenciements dans les secteurs des télécoms, des services et de l’automobile. Et la baisse de la consommation n’est pas faite pour arranger les choses.
Fins de mois difficiles
Trois mois après l’adoption de la loi de finance 2017, les effets des mesures destinées à combler son déficit budgétaire se font durement ressentir dans la société. Les ménages à faibles revenus sont, bien évidemment, les premiers à en souffrir. «Avant ce n’était pas évident. Mais depuis que la TVA a grimpé à 19%, je n’arrive vraiment plus à remplir mon panier. Les 20.000 DA que je touche (200 euros au taux de change officiel, 110 euros au marché parallèle) me permettent à peine de payer les charges de la maison et de me ravitailler en semoule et en légumes secs. Sinon impossible de faire face à une dépense imprévue», tempête Amin, un agent d’entretien à l’hôpital Mustapha Bacha d’Alger. Amin avoue que quand cela arrive, il est désormais obligé de contracter un emprunt.
Il n’y a pas que les petites bourses qui se plaignent. « Le quotidien des Algériens est également devenu pénible pour la classe moyenne » affirme tout de go Halima, enseignante d’histoire géographie au Lycée de Pasteur d’Alger-centre. « Je ne vous cache pas que je boucle de plus en plus difficilement mes fins de mois. Tout a flambé ces derniers mois. Pour me maintenir au même niveau de vie que j’avais il y a deux ans, je suis désormais obligée d’arrondir mes fins de mois en donnant des cours dans des établissements privés. Les besoins de mes deux enfants ont augmenté au fur et à mesure qu’ils grandissent. Mais toute cette gymnastique est très stressante. Je ne sais pas si je vais pouvoir tenir longtemps» avoue-t-elle.
La situation est carrément devenue intenable pour ceux qui se voient obligés de louer. Le loyer moyen d’un appartement de 3 pièces est de 35.000 dinars (350 euros), soit l’équivalent du salaire d’un instituteur. «A Alger, la vie et les locations d’appartements sont excessivement chères. Face à cela, nous n’avons eu d’autre choix ma femme et moi que de consacrer tout un salaire au loyer », lâche Abdelatif, un cadre d’une banque publique, qui dit espérer ardemment que sa demande d’achat d’un logement locatif sera bientôt acceptée. « Si nous devions louer toute notre vie, nous serions obligés de renoncer à tout projet. Nous n’aurions alors d’autre choix que de vivoter» indique-t-il avec une pointe de lassitude.
Explosions des importations
L’autre point noir qui grève les finances publiques réside dans les importations qui ont littéralement explosé. En 2016, elles se chiffraient à 46,7 milliards de dollars. Beaucoup trop pour un budget en pleine chute libre. Fin mars, le ministre du Commerce, Abdelmadjid Tebboune, a estimé à 15 milliards les économies possibles. C’est presque le tiers du montant des importations en 2016. Aujourd’hui, plus de 32 000 sociétés activent dans le domaine de l’importation. En tout l’Algérie importe plus de 50 000 produits finis. Pour freiner cette tendance, le gouvernement algérien à imposé des licences d’importation et encouragé la production locale.
Malgré la crise, le gouvernement algérien se garde toutefois de réformer un système de subventions budgétivore et décrié. Malgré cela, le président Bouteflika estime que l’Algérie est pour le moment «en mesure de faire face» à la crise. Il est vrai que l’Algérie n’est pas tout à fait démunie. Pour faire face à la fluctuation des cours du brut, le pays dispose d’un Fonds de régulation des recettes (FRR) et d’un confortable matelas de devises. Le FFR fond toutefois comme neige au soleil. Il est passé, début janvier, sous la barre des 30 milliards de dollars et risque d’être bientôt épuisé. Le ministre des Finances, Hadji Baba Ammi, a fait savoir à ce propos que le FRR sera encore sollicité en 2017 pour combler le déficit budgétaire. Si cela se produit, il n’en restera plus rien.
Quant aux réserves de change, libellées en devises, elles s’élevaient fin septembre 2016 à 121,9 milliards de dollars, selon le gouverneur de la Banque d’Algérie, contre 179 milliards en décembre 2014. Aujourd’hui tout le monde convient que si une alternative n’est pas vite trouvée au pétrole, l’Algérie risque de se voir une obligée de frapper à la porte du FMI pour emprunter. Cette perspective ne va pas sans rappeler aux Algériens de vieux et très mauvais souvenirs.
Mustapha Ouargli