Lancée en novembre 2014 dans le cadre de l’accord de coopération algéro-brésilienne (datant de 1981), cette école se veut une solution alternative à la crise économique qui sévit depuis deux ans à cause de la chute vertigineuse des prix du pétrole et l’agonie du tourisme saharien. Pour une région qui renferme une réserve non négligeable de pierres précieuses et de pierres fines, la gemmologie est l’un des créneaux prometteurs sur lequel devraient miser les autorités afin de sortir de l’ornière, estime le responsable de l’école, Mourad Saidani.
De gros moyens ont été mis en place pour relancer la taille de pierres précieuses et semi précieuses à Tamanrasset. Selon le même responsable, l’école s’est dotée de tous les équipements nécessaires au fonctionnement des ateliers destinés à la formation des artisans issus des 48 wilayas du pays. Le matériel, dont le montage a été assuré par une équipe d’experts brésiliens et des cadres de l’Agence nationale de l’artisanat et du tourisme (Anart), comprend un calibreur, des machines à facettes, une machine de coupe, une rectifieuse et un équipement pour la fonderie.
Plus de 60 qualités de pierres précieuses inventoriées
L’objectif premier de cette structure pilote est d’exploiter les richesses locales et de mettre en valeur les qualités de pièces précieuses inventoriées dans le massif de Hoggar. Cette analyse s’appuie sur l’inventaire effectué par l’office algérien des recherches géologiques et minières dans les années 1990, lequel a fait ressortir 61 indices, représentés par 19 types de minéraux (parmi lesquels la topaze, le grenat, l’agate, l’opale, le quartz rose, etc…). Une offre affriolante de dame nature poussant le ministère de tourisme et de l’artisanat à mettre le paquet pour la concrétisation de ce projet dans la perspective de développer un système productif local (SPL) via la création d’une coopérative des artisans à Tamanrasset.
Ces derniers doivent ainsi bénéficier d’une formation de qualité dans le domaine de la gemmologie conformément aux clauses contenues dans l’accord de coopération algéro-brésilienne, portant essentiellement sur la mise en œuvre du projet de transfert de connaissances pour «la production de gemmes lapidées, de bijoux et d’artisanat minéral ».
Les Brésiliens sont ainsi chargés de former des formateurs dans diverses spécialités, particulièrement en ce qui concerne la taille de pierres précieuses, l’artisanat minéral, l’orfèvrerie artisanale, la fonte industrielle et le design de bijoux.
Depuis la mise en service de l’école, 80 stagiaires ont été formés aux modules prévus, soit 148% des objectifs initialement tracés. Ces formateurs se sont engagés au terme d’une convention signée avec la Chambre de l’artisanat et des métiers de leurs wilayas respectives à former 10 stagiaires par an, après le départ des formateurs brésiliens. Le nombre total de bénéficiaires de ces cycles de formation sera donc 800 stagiaires/an, un chiffre supérieur aux estimations initiales. La sélection des candidats s’est faite sur la base d’un questionnaire diffusé auprès des bijoutiers et transmis au niveau local par l’intermédiaire des chambres d’artisanat et des métiers (CAM). Les candidats retenus sont sommés de signer un contrat de fidélité exigeant des futurs formateurs de transférer, à leur tour, le savoir acquis afin d’assurer un véritable transfert de compétences. La mise en place d’une coopérative vise ainsi la valorisation des pierres taillées par l’échange d’expériences entre les artisans brésiliens et algériens, tout en conservant les traditions et coutumes de la population locale ainsi que les richesses culturelles de cette région millénaire.
Kamel K. fait partie des stagiaires sélectionnés. Après 45 jours d’apprentissage et de formation aux designs de bijoux à l’école, il compte voyager vers le pays de la Samba pour se perfectionner davantage en vue de monter son projet à Tamanrasset où il aspire au développement de nouvelles techniques en adéquation avec les spécificités culturelles de la région.
De Madagascar à Tamanrasset
Hamid A., lui, a dû faire des raccourcis pour parvenir à investir dans l’Ahaggar en montant une chaîne de production de marbre avant de se lancer dans l’exploitation de pierres précieuses. Selon une source proche de cet investisseur du nord algérien, le projet était initialement prévu à Madagascar. Une photo prise par son ami dans la ville des Touareg lui a fait changer d’avis. Fasciné par le paysage et la variété de ses pierres et son sol argileux, il organise une visite expéditive à Tamanrasset avant de décider de s’y installer définitivement. Un choix consolidé par la disponibilité de la matière première et sa variété qualitative indisponible même aux pays des malgaches. Aujourd’hui, Hamid compte engager des artisans formés par les Brésiliens afin de diversifier son activité et créer plus d’opportunités d’emplois, affirme toujours notre source.
Une équipe de cinq formateurs a été subventionnée par le bureau brésilien du PNUD. En effet, une enveloppe financière de près de 1 650 millions de centimes (9167 Euros) leur avait été accordée, à raison de 330 millions chacun, afin d’assurer pérennité et continuité à l’école et multiplier les bénéficiaires de cette activité artisanale.
Développer un SPL visant à diminuer l’importation des matières premières et élever la compétitivité de la production de la gemme tant au niveau national que local, grâce à ces formations, c’est le défi relevé par le directeur de la chambre de l’artisanat et des métiers de la wilaya de Tamanrasset. Abdellah Lagraoui met en exergue l’importance de cette coopération permettant de garantir la production, la commercialisation et l’usage des biens et services dans une dynamique concurrentielle, tout en contribuant au développement scientifique et technologique de l’environnement et du consommateur.
Sauf que le cas de Tamanrasset est particulier. «Tout ce que l’on trouve dans le désert peut être précieux compte tenu de la valeur ajoutée apportée par le professionnel qui dispose de l’art et des compétences nécessaires pour développer le produit de joaillerie, de bijouterie et de l’artisanat minéral» estime Oscar Ferreira, professeur brésilien de taille artisanale. La taille artisanale, contrairement à la taille à facette, est un métier de réflexion et d’invention qui permet à l’artisan de développer des designs qui pourraient être d’une grande valeur patrimoniale. « Certes, la taille à facette des pierres précieuses exige la maîtrise de techniques complexes et un niveau de connaissances assez important. Mais rien n’est sorcier quand on a affaire à des professionnels dont la performance est excellente », souligne, pour sa part, Silvio Andre Aguiar, professeur de la taille à facette à l’école de gemmologie de Tamanrasset.
Rabah Karèche