Aujourd’hui, l’intolérance a pris le dessus. L’ancienne église Saint Hilarion a été soustraite à sa vocation et s’est vue transformer en musée communal. Construite en 1900, elle est située dans la partie nord-est de la ville, à côté du marché Rehbet-Ezzitoun et du verdoyant espace vert qui la jouxte. Cette belle église a connu ses heures de gloire en devenant cathédrale en 1955.
Dire que désormais elle connaît un silence de cathédral n’est point une lubie poétique mais bien une triste réalité pour les fidèles qui ont fréquenté ces lieux et dont les voix se sont tues. Ses coupoles trônent encore sur la ville mais ses cloches ne retentissent plus. La plupart des lieux de culte chrétiens ont subit le même sort ou ont été carrément démolis pour que soient érigés soit des mosquées soit des bâtiments administratifs.
Pour les habitants de Laghouat, ce changement est une suite logique de l’Indépendance de l’Algérie. Exit le passé judéo-chrétien et berbère de la région. «Nous sommes des musulmans. Le christianisme nous a été imposé par les colons. Nous avons dû occulter notre religion pendant 132 ans», fait valoir M’barek, un septuagénaire fluet au visage émacié. «Après le départ des colons, les pères blancs et les sœurs blanches sont restés. Ils étaient très serviables et la population les appréciaient et les respectaient. Mais avec le terrorisme durant les années 1990, ils ont beaucoup réduit leur contact avec les gens. Mais même pendant les pires moments qu’a connus l’Algérie, ils n’ont jamais pensé à quitter le pays», souligne-t-il. Le diocèse de Laghouat existe toujours. Le Père Claude Rault, Père Blanc y a été ordonné évêque le 16 décembre 2004 et installé officiellement le 19 décembre 2004.
Dans un pays où l’islamité de l’Etat est consacrée dans la constitution, les rares chrétiens rasent les murs et pratiquent scrupuleusement le proverbe qui dit pour vivre heureux, il faut vivre caché. Assister à des activités spirituelles, c’est la croix et la bannière, au grand dam des quelques chrétiens qui vivent dans la région. La plupart d’entre eux viennent de pays africains où sont des expatriés travaillant pour le compte de multinationales. Paul Barthélémy fait partie de la première catégorie. «J’ai deux tares. Je suis noir et je suis chrétien. J’ai rencontré des personnes de confession musulmane qui viennent de pays africains et ils subissent moins que nous le racisme et l’intolérance. Je suis arrivé jusqu’à Alger où j’ai pu visiter la cathédrale Notre Dame d’Afrique mais je suis tombé au moment où des réfugiés nigériens étaient ramassés et rapatriés chez eux. J’avais peur d’être expulsé et j’ai donné tout ce que j’avais comme argent à un chauffeur de taxi. Il m’a largué ici. A la base, je suis pratiquant, je fréquente l’église, j’assiste à la messe mais depuis que je suis en Algérie je n’ose pas dire que je suis chrétien », raconte Paul Barthélémy, les traits tirés. Il insiste pour que ses deux prénoms qu’il porte avec fierté soient cités. «J’ai appris à dire salam alikoum (que le salut soit sur vous) et hamdoullah (Dieu soit loué), pour passer pour un musulman et me faire accepter mais même ainsi je subis la méfiance et l’intolérance », déplore le jeune trentenaire.
De jeunes militants des droits de l’homme essayent de prendre des initiatives allant dans le sens du dialogue interreligieux mais ces actions sont souvent accueillies avec hostilité par la population locale. «Les gens étaient plutôt tolérants durant les années 1970 et acceptaient assez bien qu’une personne soit de confession différente mais avec la prolifération de l’intégrisme, on constate qu’il y a une certaine animosité voire de l’agressivité envers ceux qui pratiquent une autre religion. Cette situation prive la région d’un revenu puisqu’on aurait pu développer le tourisme religieux. L’autre jour, une vingtaine de pieds noirs (anciens colons, ndlr) sont venus et ont pu visiter l’ancienne église», regrette Badreddine, jeune activiste pacifiste. Ses paroles sont interrompues par le brouhaha du marché Rehbet-Ezzitoun.
Autrefois, les éclats de voix des fidèles de l’ex église Saint Hilarion se mêlaient aux rumeurs des chalands et des commerçants. œuvrant pour la coexistence pacifique des deux religions monothéistes, l’évêque de Laghouat et Ghardaïa, Mgr Claude Rault, multiplie les activités et les messages de tolérance. De la fête du Sacrifice au Ramadhan en passant par la célébration de la naissance du prophète Mohammed, l’évêque ne rate plus aucune occasion pour exprimer la présence de l’église catholique aux côtés des musulmans. «Ces derniers jours ont été marqués par la mort tragique d’un citoyen français dans le nord du pays. Cet assassinat a provoqué la consternation et l’indignation aussi bien en France qu’en Algérie. Ceux qui se servent de cet événement pour entretenir une fausse image de l’Islam se trompent. Des protestations fermes se sont élevées de la part de nombreux musulmans pour condamner ce meurtre : Dieu seul en effet est le Maître de la vie et de la mort, et nul ne peut se substituer à Lui», avait-il écrit à l’occasion de la fête de l’Aïd el Adha de 2014.
Au niveau du gouvernement algérien, des efforts se font pour améliorer les conditions des pratiquants des autres cultes. Mohamed Aissa, ministre des Affaires religieuses et des Wakfs depuis mai 2014, a déclaré la « guerre » aux extrémistes et annoncé la possible réouverture des synagogues. Mais sur le terrain, les résistances sont telles qu’il est difficile de franchir le pas. Vivre une autre religion en Algérie est en effet un risque permanent. L’ancien président de l’église protestante en Algérie, Mustapha Krim crie à la «discrimination ». Pour lui, «l’idéal est d’abroger la loi de 2006 régissant le culte non musulman». Le problème de la liberté de culte reste ainsi entier dans un pays qui garde encore les séquelles de la guerre civile vécue durant les années 90.