Sa famille plus large se compose de ses parents et de huit frères. Bien qu’il souffre d’un handicap mental qui atteint les 10 %, Belgacem connaît les métiers de la forge et de la maçonnerie. Certes il n’est pas chef d’atelier ; mais il arrive à donner un coup de main aux maîtres artisans afin de subsister et de subvenir aux besoins de son fils et de sa famille.
Nous nous sommes rendus chez Belgacem pour l’écouter nous faire le récit de sa vie et nous dire quelles sont ses craintes et quelles sont les attentes qu’il aimerait faire entendre aux autres. Nous avons été accueillis par son père dans une maison simple et très modeste, au bout d’une rue encore plus simple qui nous a fait mesurer toute la misère qui assiège Belgacem et avec lui tout le quartier. Le père ne trouva pas mieux pour nous recevoir qu’une petite chambre pouvant à peine contenir dix personnes.
La succession rapide du récit qu’il nous fait témoigne de toute la douleur ressentie par ce père qui, a visiblement raconté sa peine à plus d’une personne avant nous. Belgacem est né en 1971, là où la vie est dure et primitive sur tous les plans et où il n’y a même pas d’hôpital mais un petit dispensaire surpeuplé en permanence, ce qui pousse les habitants à partir se faire soigner en ville, à plus de 20 km.
Belgacem grandit dans une famille très conservatrice et pratiquante qui donne beaucoup d’importance à la bienfaisance et aux liens de parenté. Entré à l’école en 1977, il montre des signes de retard scolaire importants. En effet, il est loin de faire partie des génies de la classe ni même de ceux qui obtiennent de bonnes notes. Passant difficilement d’un niveau à un autre et redoublant quelques années jusqu’à la sixième primaire, il a beaucoup de mal à obtenir le certificat. N’ayant pas la chance d’obtenir le diplôme des études moyennes, il abandonne l’école et se met à aider son père aux travaux agricoles. Il passe quinze années à pratiquer cette activité avant qu’un de leur voisins, forgeron de son état, ne lui demande de travailler dans son atelier pour l’assister. Avec l’accord de son père, il abandonne le travail du champ et commence à apprendre la forge sous la direction du maître artisan, parvenant, grâce aux quelques dirhams qu’il gagne de ce petit métier, à se procurer une source de revenue indépendante. Un jour, à l’atelier, son patron s’étonne de le voir soudain lâcher ses outils pour s’asseoir, l’air fatigué. Quand il lui demande s’il va bien, Belgacem répond qu’il a des vertiges et qu’il se sent sur le point de perdre connaissance. Il l’emmène vite alors au dispensaire du village où il se fait soigner par un médecin qui lui prescrit un arrêt de travail de trois jours. Ses vertiges ne cessent pas pour autant et son état empire. A ce moment-là, son père l’emmène à l’hôpital de la ville afin que le mal soit diagnostiqué avec plus d’exactitude. C’est là en effet que le médecin spécialiste découvre que Belgacem souffre d’une maladie nerveuse passible de lui causer un handicap mental, ce qui se confirme malheureusement à 10 %. A la demande de son père, Belgacem arrête de travailler chez le forgeron. Il se fait suivre depuis par un psychiatre.
Belgacem sort de l’hôpital avec une ordonnance sur laquelle est transcrit le nom d’un médicament qu’il doit prendre à vie. Si jamais il l’oublie, d’ailleurs, ne serait-ce qu’un seul jour, des douleurs insupportables lui font passer une nuit blanche et ne le lâchent que lorsqu’il a enfin pris sa dose. C’est ce qui lui donne de l’angoisse chronique et de fréquents troubles de la mémoire.
Poursuivant le récit de l’histoire de sont fils, le père de Belgacem nous dit que lorsqu’un ami de la famille apprend le mal de son fils, il cherche à l’aider en lui trouvant du travail dans un chantier du bâtiment. Cependant, la famille refuse cette proposition, à cause des 140 kilomètres qui séparent ce chantier du lieu d’habitation de Belgacem et qui risquent d’ajouter aux inquiétudes de la famille et de perturber sa prise régulière des médicaments. Belgacem reste donc dans son village à attendre que la chance finisse par lui sourire en lui envoyant un métier qui lui permette de survivre.
Voyant toute la souffrance de Belgacem, un ami lui propose alors de s’adresser à l’agence de l’emploi pour y déposer un dossier. Avec de la chance il peut espérer trouver un travail, aussi simple qu’il soit, pourvu qu’il soit stable, au lieu de passer d’un métier à un autre, sans aucun revenu fixe. Belgacem se met alors à rassembler les papiers nécessaires et à extraire les documents officiels auprès de la Municipalité. Mais au moment de déposer sa candidature à l’agence, son dossier est refusé du fait qu’il lui manque le diplôme. Selon le fonctionnaire, cette condition est la plus importante de toutes pour déposer une demande, même s’il dispose d’un certificat attestant de sa brève expérience professionnelle dans les domaines de la soudure et de la maçonnerie et supposé être reconnu par les agences d’emploi.
Belgacem ne se décourage pas pour autant et trouve un intermédiaire qui intervient en sa faveur. On lui conseille avec cela d’ajouter à son dossier une carte d’handicapé pour qu’il soit prioritaire et il essaye de l’obtenir en s’adressant à la direction des affaires sociales. Avec son frère, pendant trois mois, il fait d’interminables allers-retours entre le village et le siège du gouvernorat, en vain. La nonchalance administrative bloque l’évolution du dossier et le maintient au point de départ pendant qu’un temps précieux passe comme un éclair, alourdissant jour après jour la souffrance de Belgacem.
Désormais, Belgacem voit toutes ces institutions administratives comme un vrai cauchemar. Il interrompt d’ailleurs la préparation du dossier et préfère rester à la maison et chercher une opportunité de travail libéral dans son village.
Et un jour, un de ses proches l’appelle pour lui proposer de travailler avec lui sur un chantier de construction. Avec l’essor du plan de développement rural lancé par l’Etat, le travail de la maçonnerie ne s’arrête plus dans les villes et villages, ce qui donne toujours au citoyen ordinaire la possibilité de se faire employer de façon libre comme cela a été le cas pour Belgacem.