Né à Babiroutchi, dans l’arrondissement de Maradi du département de Tessaoua lequel est situé au nord-est du Niger, Youcef Nassourou est arrivé à Biskra depuis 10 mois. Après un périple de plusieurs milliers de kms à travers le Sahara qui a englouti toutes ses économies, il fait la manche comme des centaines de ses compatriotes que l’Algérie a accueillis. Il a 31 ans, la peau noire et la physionomie d’un vieil homme accablé par le dénuement.
Trois enfants en bas-âges dont une fillette d’à peine 18 mois emmitouflée dans un morceau de tissu qu’étreint son épouse, Roukia qui à 26 ans, l’accompagnent. A voir cette femme, on se dit qu’elle pourrait être en exagérant un peu l’égérie d’une marque de parfum tant elle est belle et souriante dans son dénuement d’immigrée. Mais, c’est connu on ne choisit pas le lieu de sa naissance et le destin en découlant.
Cette famille occupe tous les jours, et du matin au soir, un bout de trottoir près de la grande poste du centre-ville de Biskra. Ils vivent de la charité des passants qui, avons-nous constaté, n’hésitent pas à mettre la main à la poche pour venir en aide à ces exilés des temps modernes inspirant une bordée d’interrogations quant à la validité de notre humanisme et sur le pourquoi de la détérioration inexorable de la vie des africains de certains pays recelant, pourtant, d’inestimables ressources naturelles.
Après des jours d’approche pour les mettre en confiance, ils acceptent de nous entretenir de leur existence peu reluisante et pas enviable pour un sou.
Dans son village Youcef Nassourou avait un lopin de terre sur lequel il cultivait du sorgho et du mile mais les nuées de criquets, le manque d’eau et les menaces d’une razzia de Boko Haram ont fini par avoir raison de sa volonté et de sa détermination à vivre au Niger. Il a vendu son unique bien pour 80 000 CFA et il s’est décidé à partir à la recherche d’un hypothétique Eldorado en Algérie.
Ses compatriotes se retrouvent à Boufarik, Blida, Larbâa, Constantine où Alger. Lui et sa famille ont choisi Biskra pour son climat clément et l’hospitalité de ses habitants, raconte-t-il dans un français rudimentaire. Il a fréquenté l’école primaire où il a appris cette langue et aussi l’arabe car c’est un musulman, assure-t-il, en récitant difficilement la Fatiha pour preuve de sa confession. Occupant des locaux désaffectés près de la nouvelle gare routière à l’entrée ouest de la Reine des Ziban, Youcef et sa famille n’ont pour tous effets personnels qu’un ballot de vêtements, des draps et un petit tapis élimé qu’ils trimballent d’un lieu à un autre.
Il est 7h du matin en ce doux mois de Janvier. Après un repas frugal de lait, de galettes et de dattes offertes par des commerçants, Youcef et sa famille rejoignent leur place au centre-ville de Biskra en espérant que les passants, émus par leur état déplorable, feront preuve de générosité.
Ces gens à l’avenir incertain sont conscients et taraudés par la précarité dans laquelle ils ont été jetés par on ne sait quel coup du sort. « Nous sommes pauvres et sans ressources dans un monde sans pitié. Si j’avais le droit de travailler, je le ferais au lieu de tendre la main toute la journée et d’implorer les badauds de me porter secours. », geint notre interlocuteur en baissant les yeux de honte.
Il est de la fière tribu des Haoussani. Qu’a-t-il à faire d’une telle fierté ? Se demande-t-il. Comme sa dignité d’être humain sans ressources, celle-ci a été disloquée et éparpillée à cause des conditions climatiques prévalant dans leur région et des mauvaises décisions politiques des dirigeants de son pays, confie-t-il.
« Notre chef de clan m’a pris en grippe car je refuse ses diktats. C’est lui qui chaque matin indique le lieu où chacun de nous doit aller se poster pour récolter l’aumône mais, moi, je préfère m’occuper de ma famille seul. Je m’acquitte cependant de ma cotisation quotidienne, équivalant à 200 Da, pour venir en aide à ceux d’entre nous qui auraient eu moins de chance et qui rentrent le soir les poches vides», souligne-t-il en homme de caractères solidaires des siens.
Cette communauté de subsahariens apparue il y a quelques années à Biskra fait désormais partie du décor, remarque-t-on.
On en retrouve les membres, hommes femmes et enfants déguenillés et mal en point sur les grandes artères et carrefours de la ville et surtout sur le périphérique longeant l’oued Sidi Zarzour où ils quémandent, auprès des automobilistes arrêtés aux feux rouges la « Sadaka » (l’aumône) en prenant des airs contrits.
« Sadaka » ...c’est ainsi qu’on les appelle maintenant car ils n’ont que ce mots à la bouche. A l’encontre des toutes idées reçues, Youcef ne rêve pas de rejoindre les côtes de la méditerranée et de s’expatrier en Europe. Son espoir est d’économiser assez d’argent pour repartir chez lui et ouvrir une rôtissoire de viande de mouton. Il a cependant deux hantises ; Celle d’être rapatrié vers le Niger avant d’avoir pu rassembler la somme d’argent nécessaire à la concrétisation de son projet et l’autre relative à la scolarisation de ses enfants.
Son ainé de 10 ans n’est jamais allé à l’école. Comme échappé de la cour des miracles, celui-ci erre aux alentours du marché central pour glaner quelques dinars. « Sans instruction, mes enfants seront toujours des parias, des déclassés et de pauvres bougres sans avenir», se désole-t-il.
Ainsi, une extrême pauvreté, l’errance imposée et l’illettrisme obèrent sérieusement l’avenir de cette communauté africaine ayant trouvé provisoirement refuge en Algérie et dont plus personne ne parle.