Les habitants se sont peu à peu rendu compte qu’ils vivaient au bord d’une rivière d’eau sale chargée de différentes substances toxiques venant de Tamanrasset, ce qui met leurs vies en danger à cause de la pollution qui empoisonne les puits et les terrains agricoles, leur seule source de revenus.
Quiconque visiterait le village se rendrait compte de la triste réalité dans laquelle vivent les habitants. Et bien qu’il se situe près de la capitale du Hoggar, le village demeure à la traine en matière de développement.
En effet, les habitants de cette région se plaignent de l’absence des moindres conditions d’hygiène, dans la mesure où il n’existe pas de salle de soin, ni de médecin, ni de voie goudronnée, ni même d’électricité. Cette dernière ne couvre d’ailleurs pas l’ensemble des habitants. Les eux usées qui ont submergé la ville au point qu’il faille les traverser pour y parvenir ne font que rendre cette situation bien plus dramatique.
A notre arrivée au village et après avoir traversé la rivière d’eau sale qui encercle l’endroit, nous avons abordé l’un des villageois, Âmi Mohamed, qui était dans son champ, appuyé à un bâton. Son visage porte les mêmes stigmates que ses concitoyens épuisés par la dureté de la vie. Il était occupé à donner des directives à ses quatre fils, leur expliquant comment planter des salades.
En discutant avec Âmi Mohamed, il nous explique que cette rivière qui assiège désormais la ville s’est progressivement constituée du cumul des eaux usées qui se déversent près du village depuis plus de dix ans. Mais la situation a empiré depuis près de cinq ans lorsqu’on a commencé à faire fonctionner ce qu’on appelle le « projet du siècle » qui a augmenté le débit de l’eau dont l’abondance a exercé une pression sur la pompe située près du village.
Et bien que les habitants aient contacté les responsables locaux et protesté pacifiquement, ajoute Âmi Mohamed, les autorités ne leur avaient accordé aucune attention à l’époque. Mais avec le temps, cette rivière dégoûtante a fini par représenter un réel danger sur leur vie, sur celle de leurs enfants et sur leurs terres qui sont leur unique moyen de survie.
Les produits agricoles provenant des terres de Taghermbayt sont en effet rejetés sur le marché parce que les consommateurs craignent les maladies que pourraient transmettre ces légumes infectés. Cela n’a fait qu’ajouter aux souffrances des habitants en les plongeant dans l’enfer du chômage. Par ailleurs, selon Âmi Mohamed, les villageois ont désormais peur de boire l’eau des puits contaminés par l’eau sale.
Notre interlocuteur explique encore que « ces eaux putrides deviennent menaçantes pour la santé des habitants, notamment les enfants qui ne sont pas conscients de ce danger. Beaucoup d’entre eux d’ailleurs ont bu l’eau de certains puits, ignorant le risque qu’ils prenaient en le faisant et étant habitués à boire l’eau des rivières. Cela leur a causé nombre de maladies dermatologiques et plusieurs autres infections transmissibles à travers l’eau ». Ces eaux empoisonnées ont même provoqué la mort de trois enfants selon Âmi Mohamed.
Le village connaît également une invasion anormale d’insectes nuisibles porteurs de maladies comme les mouches, les moustiques et beaucoup d’autres qui n’ont pas même épargné les animaux.
En effet, Âmi Mohamed s’étonne de voir de nouvelles maladies toucher les animaux, en l’occurrence le bétail : « Quand on égorge une chèvre par exemple, on trouve ses poumons tout noirs avec une odeur de putréfaction qui s’en dégage, ce qui rend parfaitement impossible d’en manger la chair. La viande de chameau non plus n’est pas comestible à cause de l’eau infectée bue par la bête ».
Madame Faouzia Kidoum, spécialiste en épidémiologie nous explique à ce sujet, que les eaux malsaines, lorsqu’elles se mélangent à l’eau potable, provoquent ce qu’on appelle « les maladies transmissibles par l’eau », telles que le choléra et les diarrhées. Par ailleurs, la spécialiste met en garde contre la consommation des légumes cultivés dans les terres irriguées par ces eaux sales car elles peuvent engendrer des atteintes de fièvre typhoïde, en plus du fait que le terrain s’appauvrit et devient impropre à l’exploitation agricole. Aussi insiste-t-elle sur l’importance de faire éviter aux enfants tout contact avec ces eaux qui, selon les rapports de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) tuent des milliers d’entre eux tous les ans.
Le problème des eaux sales a fait oublier aux habitants de Taghermbayt tous ceux dont ils souffraient auparavant. Leur unique souci est désormais de pouvoir se débarrasser de ce mal incurable qui est sur le point de leur ôter la vie. Et malgré tous les appels de secours qu’ils ont lancés aux autorités de tutelle, ils n’ont toujours pas reçu de réponse concrète, si l’on excepte d’éternelles promesses qui attendent toujours d’être tenues. D’ici là, il se peut très bien que les attentes des habitants changent de cible pour porter sur une couverture sociale et sanitaire prenant en charge le traitement des maladies qui auront alors infesté leurs corps à cause des matières toxiques transmises par les eaux empoisonnées qui engloutissent le village.