Malgré la mise en place de cette multitude de garde-fous, les mouvements féministes algériens comme le Rassemblement algérien des femmes démocrates (RAFD), continuent à ce jour de dénoncer avec véhémence ce texte qu’ils qualifient de «moyenâgeux» et de «dévalorisant» pour les femmes. En revanche, le courant favorable à la polygamie ne rate aucune occasion de défendre la nouvelle mouture du Code de la famille.
En dehors des conservateurs et des islamistes, la plus grande «défenseuse» de la polygamie est incontestablement Naima Salhi, la présidente du Parti de l’équité et de la proclamation (PEP). «Je défends la polygamie et j’accepte que mon époux se remarie. J’appelle les Algériens à se remarier pour résoudre plusieurs problèmes sociaux qui gangrènent notre pays. Il vaut mieux avoir une seconde femme qu’une maitresse», soutient-elle à chaque fois qu’elle est invitée à discourir sur la famille. En 2015, Naïma Salhi a même lancé une campagne de soutien à la polygamie sur Facebook.
Dans la réalité, la « petite » brèche laissée ouverte par le Code de la famille aux partisans de la polygamie, n’a pas provoqué le rush ou l’engouement qu’espéraient les conservateurs. Sur une dizaine de millions d’adultes, à peine 01% sont polygames. Qui opte pour la polygamie ? Il s’agit très souvent de personnes aisées. Parmi ces personnes, on retrouve des cadres d’entreprises, des ministres, des médecins et même des journalistes estampillés pourtant… modernistes.
«Que veux-tu que je te dise. La passion avec la mère de mes enfants avait disparu. Plutôt que de divorcer et de créer une fracture douloureuse dans la famille, j’ai préféré épouser une seconde femme. Mon épouse a soutenu la décision. Je ne regrette pas de l’avoir fait. Aujourd’hui tout le monde est content», témoigne Amar qui occupe le poste de rédacteur en chef dans un quotidien francophone algérien.
Amar prévient tout de même que la polygamie est un privilège très couteux. «Avoir deux épouses implique que tu as de quoi entretenir deux familles. Si tu n’as pas les moyens de ta politique, il ne vaut mieux pas tenter le diable. Tu risques de te crasher à coup sûr. Alors il est nécessaire de réfléchir à deux fois avant de t’engager à épouser une seconde femme», met-il en garde tout en rappelant qu’il a épousé sa seconde femme avant la révision du Code de la famille en 2005.
Mais tout le monde ne se remarie pas pour le plaisir ou dans l’espoir de retrouver l’amour platonique. Parfois, cela a lieu par nécessité. Dans le cas de Samir, employé à Algérie Poste, ce n’est même pas lui qui a eu l’idée d’épouser une seconde femme. Celle-ci est, dit-il, a émané de sa femme. «Après plusieurs années de mariage, nous ne sommes pas arrivés à avoir des enfants. Les médecins nous ont dit que je ne pouvais pas enfanter. C’est vrai, je l’ai poussé à épouser une autre femme pour faire des enfants. Mais il n’était pas question pour nous de divorcer car nous nous aimons», explique Amina, l’épouse de Samir.
Toutes les histoires ne connaissent cependant pas les mêmes fins heureuses. Latéfa, ophtalmologue à l’hôpital Mustapha Bacha à Alger, n’a pas essayé de chercher midi à quatorze-heures. Elle a décidé de prendre ses cliques et ses claques dès que son mari, également médecin, a commencé à parler de polygamie. «Ce qui est décourageant c’est que c’est venu de quelqu’un d’instruit. Je ne m’y attendais pas. Jamais je n’aurai accepté de partager mon mari avec une autre femme. Il m’est insupportable de vivre avec l’idée que je ne suis qu’une femme parmi d’autres dans une sorte harem. C’est dégradant», martèle Latéfa qui jure qu’elle va «militer jusqu’à la suppression définitive de la polygamie en Algérie». Le point de vue de Latéfa est partagé également par beaucoup d’hommes et de femmes qui soutiennent qu’«il est hypocrite de prétendre qu’on peut aimer plusieurs femmes à la fois». D’autres, en revanche, disent que la polygamie est une « liberté » et ne saurait poser pas de problème dès lors qu’elle est librement consentie.
Même si la polygamie, comme le montrent d’ailleurs les chiffres, est un phénomène marginal en Algérie, il faut tout de même rester prudent et vigilent. Le phénomène peut se développer de façon souterraine, l’insu des autorités, car certains ont trouvé en effet un moyen pour contourner la loi. Dans les campagnes, certains hommes contractent des mariages sans passer par la justice (Zawadj el orfi). Ils se suffisent de la baraka d’un cheikh pour convoler une seconde fois en juste noce. Ce procédé est utilisé généralement quand la première épouse refuse de donner sa «bénédiction» à son mari lorsque celui décide de ramener à la maison une seconde épouse.
Pour mettre fin à cette pratique illégale, le législateur a formellement interdit aux imams de sceller des mariages si les prétendants ne présentent pas au préalable une attestation de l’état civil. En dépit du risque de payer de lourdes amandes ou d’aller en prison, des imams téméraires n’hésitent tout de même pas à rendre «service». «Je sais que c’est interdit mais la religion nous enseigne qu’un homme a le droit d’avoir jusqu’à 4 épouses. C’est suffisant pour moi », lance Aymen un imam qui officie dans une petite mosquée à l’extérieur d’Alger. Devant ce genre de situations, une militante associative appelle les femmes victimes de ces pratiques à ne pas se taire et à prendre leurs responsabilités.