Tel est le texte de l’article 54 de la Constitution algérienne qui explicite noir sur blanc que les services de santé sont un droit acquis à tout citoyen algérien et que c’est à l’état de garantir ce droit et de veiller à ce qu’il soit concrètement respecté.
Une randonnée nous a amenés dans le village d’Indlak, à soixante-dix kilomètres au sud-est de la wilaya de Tamanrasset. Nous y avons vu des habitants qui, comme dans tous les villages peuplés de nomades et situés en périphérie de la wilaya, vivent dans une tranquillité et dans une paix telles qu’on pourrait penser que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes pour eux… Il n’en est rien pourtant. Nous sommes surpris en effet par l’existence d’un bâtiment dont l’architecture est différente de celle des autres constructions du village. Il s’agit du local supposé abriter le centre des soins de santé du village mais qui est en réalité désert comme une caserne désaffectée. Il n’a d’ailleurs pas ouvert ses portes aux malades depuis des années.
En apercevant ces lieux désolés, nous nous remémorons le texte de l’article 54 de la Constitution et nous nous sentons soudain submergés d’interrogations pressantes… Comment font les habitants de ces contrées pour vivre en plein cœur du désert avec les serpents et les scorpions qui y pullulent ? Comment font les enfants pour résister aux maladies saisonnières ? Quels soins peut-on fournir aux femmes enceintes pendant toute la durée de leur grossesse et lors des accouchements ? Quel place occupent les habitants de ce village au regard des droits constitutionnels explicités par l’article 54 ? Autant de questions qui nous hantent l’esprit et qui restent sans réponse…
L’un des séniors du village, Cheikh Abdessalem, a accepté de nous parler. Il avait cet air de bonté et de sagesse qu’ont les gens de la campagne. D’une voix où raisonnent la tristesse et le regret, il a déploré l’absence de tout service de santé au village, assurant que les locaux réservés à cette fin ne sont plus qu’un squelette sans âme puisqu’ils se trouvent en état de fermeture depuis plus d’une année et qu’il n’y existe ni médecin ni infirmier, ce qui provoque le mécontentement des habitants.
« Lorsque nos enfants ont la grippe, nous sommes obligés de nous déplacer jusqu’au centre de la Wilaya pour les soigner, alors qu’il aurait été possible de le faire au centre de santé du village et au moyen d’un simple vaccin. C’est l’absence de ces services de santé élémentaires qui ajoute à nos souffrances et qui nuit même à la scolarité de nos enfants. Car lorsque nous nous déplaçons dans la capitale du Hoggar, les petits sont obligés de rater les cours, ce qui creuse encore le cercle vicieux de nos supplices… Avoir le droit à la santé signifie donc pour nous la perte du droit à l’éducation ! », explique encore Ceikh Abdessalem.
Les propos de Mohamed, un des jeunes du village, vont dans le même sens : « Nous sommes très nombreux à vivre dans ce village et nous souffrons de l’absence totale des services de santé. Le centre des soins, unique refuge pour nous en cas de maladie, nous a fermé ses portes. De plus, notre village pullule de scorpions pendant la saison estivale et une seule piqure de ces insectes venimeux nous expose à un véritable danger de mort. Comment pouvons-nous nous déplacer dans cet état sur une distance de soixante-dix kilomètres non goudronnés? La plupart des habitants ne disposent d’aucun moyen de transport et, pire encore, il n’y a pas même d’ambulance… Cette situation ajoute à nos souffrances et nous empêche de dormir désormais ».
En écoutant ces témoignages, nous avons immédiatement pensé à ce que doit être la difficulté pour une femme enceinte de se retrouver dans cette situation. « Elle est obligée de faire le trajet éprouvant et de se rendre au centre de la wilaya ; elle n’a pas d’autre choix ! », répond Cheikh Abdessalem. Le jeune Mohamed ajoute dans ce même ordre d’idées que « la femme enceinte est déjà obligée de subir ce déplacement périlleux et d’endurer cette rude épreuve chaque fois qu’elle a à consulter son médecin pour les contrôles réguliers de la grossesse. Car les habitants du village n’ont pas d’endroits pour se loger lors de leurs voyages dans la capitale du Hoggar, ce qui fait qu’une femme enceinte doit parcourir, en aller-retour, une distance de cent quarante kilomètres en une seule journée. Dans son état, cela induit des souffrances à la fois physiques et psychologiques si l’on pense à l’angoisse qu’elle doit ressentir à l’idée qu’il puisse arriver un quelconque malheur à son bébé ».
Quant à leurs revendications, Mohamed en parle sur un ton triste et quelque peu désespéré, tant elles lui semblent inaccessibles et difficiles à obtenir. « Nous demandons aux autorités régionales de nous fournir un médecin et une ambulance », dit Mohamed, l’air de souhaiter la réalisation d’un rêve.
Ainsi, pendant que les habitants de la wilaya vont plus loin que la disponibilité des services élémentaires de santé et exigent que ces services soient fournis de manière plus avancée, les habitants du village d’Indlak, dans la capitale du Hoggar, en sont encore à rêver au strict minimum de leurs doits élémentaires en matière de santé publique.