En effet, la proposition d’amendement constitutionnel présentée par le Président, Abdelaziz Bouteflika a été ratifiée par le Parlement algérien, dimanche 7 février 2016, avec 499 voix contre un rejet de deux voix et une abstention de seize députés. Les groupes composés de députés appartenant aux blocs parlementaires pro-pouvoir, comme « Le Front de Libération Nationales » et le « Rassemblement National Démocrate », ainsi que les indépendants au sein du Parlement et du Conseil Populaire National ont voté pour la proposition d’amendement constitutionnel. Par contre, les députés du parti opposant des Travailleurs de Gauche se sont abstenus d’assister à la plénière. Le même boycott a également été exprimé par les blocs composés du « Front des Forces Socialistes » et de « l’Alliance Islamiste » qui rassemble trois partis islamistes en plus du groupe « Justice et Développement ».
Des observateurs ont pu constater que le combat des Amazighs d’Algérie est loin d’être terminé, puisque de grands efforts doivent encore être consentis pour parvenir à atteindre l’objectif principal que « les aïeux cherchaient à réaliser » et qui est de pratiquer cette langue et de l’utiliser dans les domaines de la science, de la production et de l’administration. Le texte de la nouvelle Constitution annonce d’ailleurs la création d’une Académie algérienne de la langue Amazighe, placée auprès du Président de la République. Il y est également stipulé que l’Etat œuvre à sa promotion et à son développement dans toutes ses variétés linguistiques en usage sur le territoire national, de même qu’elle est considérée comme une composante essentielle de l’identité algérienne au même titre que l’arabisme et l’Islam.
Par ailleurs, un personnage est apparu ces derniers temps et a commencé à beaucoup faire parler de lui suite à l’officialisation de la langue amazighe. Il s’agit du secrétaire général du Haut Commissariat de l’Amazighité (HCA), Si El Hachemi Assad, qui multiplie les apparitions médiatiques et les déclarations au sujet de la langue amazighe, de son récent statut officiel, des stratégies à adopter pour la moderniser et la promouvoir ainsi que des moyens à fournir pour l’aider à aller de l’avant.
Si El Hachemi Assad considère l’officialisation constitutionnelle de la langue amazighe comme un acquis de grande valeur qui a tout de même besoin d’un soutien complet consistant à accélérer la création de l’Académie Algérienne de la Langue Amazighe et à la pourvoir des compétences nécessaires et des experts en la matière afin d’entamer la mise au point d’une grammaire du tamazigh, d’établir un inventaire de la littérature écrite dans cette langue et de venir à bout des efforts qui ont devancé de plusieurs années l’officialisation constitutionnelle.
Il assure par ailleurs que la constitutionnalisation du tamazigh, en plus d’être un acquis de taille, est une décision intelligence qui permettra d’affermir la solidarité du peuple algérien et de souder l’union nationale. Cette décision, explique-t-il à « Dunes Voïces », a contribué aussi à la réhabilitation du tamazigh après de longues années d’injustice. D’autre part, notre interlocuteur rejette catégoriquement l’idée selon laquelle il existerait un conflit entre la langue arabe et la langue amazigh et selon laquelle l’officialisation de cette dernière risquerait d’en créer un, en attestant d’un plurilinguisme en Algérie. Il considère au contraire que cette décision participera plutôt à former une génération bien ancrée dans son identité arabo-amazigh et pourvue d’un capital intellectuel et culturel qui renforce sa personnalité nationale et l’éloigne de tout risque de fanatisme.
La création d’une Académie algérienne de la langue Amazighe devrait selon Si El Hachemi Assad se faire dans le respect de nombre de critères et de conditions à même de garantir la qualité de la matière que cette institution va produire, d’autant que l’état est tenu de fournir tous les moyens financiers et scientifiques pour rattraper le retard pris sur le processus de développement du tamazigh. Il nous révèle aussi que le Commissariat avait proposé depuis des années le projet d’établir une Académie pour la promotion de la langue Amazighe et de doter cette institution de prérogatives qui lui permettent de proposer et de réaliser des projets scientifiques innovants visant à faire du tamazigh une langue commune à tous les Algériens à travers l’établissement d’une grammaire, d’une orthographe et d’un dictionnaire amazigh communs.
Notre interlocuteur revendique également que l’enseignement de la langue amazighe soit obligatoire et qu’elle soit reconnue comme faisant partie des programmes officiels d’enseignement au même titre que les autres matières. Il explique également que c’est le fait qu’elle ait été jusque-là une matière optionnelle qui a cantonné cette langue dans les cycles primaire et complémentaire en l’empêchant d’accéder au cycle de l’enseignement secondaire. Cette généralisation, pense-t-il devra se faire à une échelle aussi bien verticale qu’horizontale. Le niveau vertical concernera l’intégration de l’apprentissage du tamazigh dans l’enseignement secondaire, ce qui induira la présence de cette langue dans tous les paliers d’enseignement. Par la suite, se fera le passage au niveau horizontal, c’est-à-dire la généralisation de l’apprentissage à toutes les wilayas.
Mohand Arrezgui Ferrad, chercheur en langue amazighe, affirme dans le même ordre d’idées que la cause amazighe vient d’obtenir une immense victoire grâce aux sacrifices consentis par des générations entières. La création du Haut Commissariat de l’Amazighité (HCA) et la reconnaissance constitutionnelle du tamazigh comme langue officielle du pays sont, dit-il, « des acquis obtenus grâce aux combats acharnés de plusieurs générations d’Algériens ».
Cet ancien député du FFS (Front des Forces Socialistes) affirme aussi que « beaucoup de travail reste à faire afin de promouvoir la langue amazighe et de la faire progresser, ce qui est loin d’être facile et nécessite absolument que l’occasion soit donnée aux académiciens pour qu’ils apportent leur contribution et fassent ce qu’ils ont à faire en la matière ».
« Les politiciens devraient reculer aux arrières lignes pour céder le passage à ceux qui souhaitent travailler à la sauvegarde de la langue amazigh et à la collecte de son patrimoine culturel », ajoute Ferrad. Il fait remarquer aussi qu’« il ne faut pas cantonner le tamazigh dans la région kabyle du pays puisque c’est une langue nationale qu’il ne faut pas considérer comme étant propre à une région spécifique, au risque de provoquer un schisme social dans le pays ». Et bien qu’il s’agisse, reconnait-il, d’une langue encore en phase de croissance, se trouvant quasiment à un stade juvénile de son existence et qu’il sache que ce processus d’officialisation ne se ferait pas sans dégâts, de la même manière d’ailleurs que la langue arabe avait subi auparavant les dégâts collatéraux de la domination récalcitrante du français, le chercheur ne peut s’empêcher toutefois d’espérer que « l’officialisation permettra de fournir les ressources financières, humaines et institutionnelles nécessaires à la promotion de la langue amazigh et de lui consacrer une académie, un conseil supérieur, ou un secrétariat d’état ».
La décision a d’ailleurs été favorablement accueillie par l’ensemble de la communauté amazighe. Radhouane A., enseignant, considère que « le tamazigh est un code linguistique porteur d’éléments très importants de notre culture et exprimant divers aspects de notre identité et qu’à partir de là, il peut être considéré comme un affluent de grande importance pour la langue arabe qui est, à son tour, un champ fertile pour la langue amazighe. De là vient leur complémentarité et, aussi, la nécessité de jeter entre les deux langues des ponts solides, construits sur des bases saines et durables. Le tamazigh ne peut donc être considéré que comme une partie intégrante du parler algérien, une composante à promouvoir et à mettre en valeur ».
De son côté, Ismaïl M., étudiant à l’université de Tizi-Ouzou, pense que la reconnaissance du statut officiel de la langue amazighe dans la Constitution algérienne est un pas en avant que nul ne peut nier et qui est tout à fait louable, puisque l’identité algérienne en avait besoin pour être davantage soudée et afin de s’éloigner de la pseudo-guerre linguistique que d’aucuns ne cessent de s’imaginer. Cette officialisation est en effet, dit-il, une réhabilitation de l’identité algérienne dans toutes ses composantes et dans toute sa complexité ainsi qu’une grande victoire pour la démocratie et pour le combat de plusieurs générations de militants amazighes.
Tinhinen R., employée et militante au sein des mouvements associatifs, assure, quant à elle, que l’officialisation constitutionnelle du tamazigh permettra de placer les questions de la langue et de l’identité amazighes au-delà des surenchères politiciennes auxquelles se livrent certaines formations politiques. Car, pense-t-elle, le tamazigh n’est pas simplement une langue ; il est aussi et avant tout un ensemble de valeurs culturelles caractérisées par leurs dimension humaniste et par leur attachement à la liberté, à l’égalité et à la dignité, autant de principes qui sont à placer au-dessus de toute considération religieuse, politique ou autres…