Guidées par leurs sentiments indubitables, des Algériennes ont épousé des migrants subsahariens irréguliers. Mais, en n’écoutant que leur cœur, elles ont défié leurs familles. Elles ont bousculé une certaine culture de leur pays et heurté la sensibilité religieuse d’une société pas encore prête à tolérer les indifférences et accepter les convictions des uns et des autres.
Inconscience ? Défi ? Blasphème ou tout simplement un bouleversement de traditions locales par des femmes dans une société qui évolue en regardant toujours en arrière ? Toujours est-il qu’il n’en fallait pas plus pour condamner ces « maudites, mécréantes, effrontées… »
Des sobriquets désignant Selma, Meriem, Nadia et bien d’autres Algériennes, depuis qu’elles ont « commis l’irréparable » en épousant le « Noir » et le « Chrétien » « Le noir chrétien » surtout !
Enquête.
Décembre 2015. Banlieue algéroise. La brise marine fouette les visages émaciés de quelques subsahariens bercés par le rêve d’un horizon méditerranéen incertain. Un mirage insaisissable qu’ils tentent, malgré tout, d’attraper à partir d’un pays, l’Algérie, qui les tolère hypocritement… qui les rejette subtilement.
Au milieu de ce magma d’infras-humains, Julien, Camerounais, établi illégalement depuis 10 ans à Alger, accepte de nous raconter ses déboires et ceux de la femme qui a consenti à partager avec lui « le meilleur et le pire »
Blasphème
Un témoignage par procuration, sommes-nous tentés de dire. Car Selma, son épouse, 39 ans et cadre dans une entreprise privée, refuse de se mettre sous les feux des projecteurs par peur de représailles. « En apprenant à ses parents qu’elle aime un Camerounais, donc un noir et de confession chrétienne, elle a failli être lynchée. Aussitôt, sa famille a exigé un certificat de circoncision et un test anti sida. Craignant pour sa vie, Selma n’avait pas besoin de trop réfléchir pour quitter le domicile parental et venir vivre sous mon toit ». En guise de maison, c’était une carcasse de villa louée à 13 000 DA/ mois (Environ 80 euros) occupée par une quarantaine de personnes de différentes communautés de l’Afrique subsaharienne.
« Nous avons deux enfants non inscrits à l’état civil de la commune et qui sont scolarisés dans une école privée, parce qu’aux yeux de la loi algérienne, on n’est pas reconnu comme mari et femme. Et même si nos deux petits sont nés ici, l’Algérie ne reconnaît pas le droit de sol, ils sont donc apatrides » explique-t-il, médusé et la colère à peine contenue.
Partir en quête de couples mixtes à Alger et dans ses environs, c’est comme partir en guerre, tant le sujet est tabou.
« Pourquoi cherchez-vous à fouiller dans la vie intime des gens, si ce n’est pour foutre davantage la pagaille ? », nous accueille celui qui dit s’appeler Abdallah, musulman, mais pas plus chanceux que Julien. « Ce que je peux dire, chez les Algériens, ce n’est pas uniquement la religion qui représente un frein dans le sacrement d’une union. Je dirais même que c’est un gros prétexte pour nous rejeter. C’est notre couleur qui est l’inconvénient, sinon comment expliquer que vous acceptez que vos filles et vos garçons épousent des Européens et des Européennes de confession chrétienne ? J’ai la réponse, parce qu’ils sont de l’Occident, donc de couleur blanche. C’est une question de racisme… », dit-il.
Meriem est une des seules algériennes qui a accepté de raconter son amertume, avec la condition, toutefois, de ne citer ni son vrai prénom, ni la ville où elle réside, encore moins sa profession. Un pacte vite signé avec celle qui dit avoir trouvé la solution à son problème en convolant en justes noces dans le pays de son conjoint, le Mali. « J’ai, en fait, contourné la loi de mon pays et ce n’est pas interdit » confesse, d’emblée, Meriem, fonctionnaire.
Pourtant, cela ne lui a pas permis d’obtenir la bénédiction de sa famille, ni de bénéficier des lois de son pays. « C’est comme dirait l’autre, en Algérie, je suis mariée religieusement et légitimement, étant donné que mon mari est musulman, mais civilement, on n’est pas reconnu comme tels… » et de continuer, éplorée, « Parce que j’ai daigné épouser un noir, il faut appeler un chat, un chat, je suis reniée par mes parents, maudite par mon quartier et rejetée par mes collègues de travail. Un poids lourd à porter pour une femme qui n’a cherché qu’un bout de bonheur sans s’assujettir aux règles irrationnelles d’un environnement rétrograde… »
« J’ai contourné la loi de mon pays »
L’avis d’un théologien, imam d’une mosquée à Alger, est nette : « La femme algérienne a le doit d’épouser qui elle veut, Subsaharien, Américain, Indien ou Chinois, pour peu que son époux soit musulman ou s’il ne l’est pas, il a l’obligation de se convertir à l’Islam. Sinon, l’union sera considérée comme de la fornication et donc un péché »
Un député du parti au Pouvoir (front de libération nationale), le docteur Boualem Bousmaha, président de la commission des relations extérieures à l’Assemblée populaire nationale (Parlement algérien) a souligné lors d’un bref entretien, que « L’Algérie ne s’est jamais départie de ses engagements humanitaires vis-à-vis de tous les peuples, qu’ils soient du Sahara occidental, de la Syrie ou de l’Afrique subsaharienne. Mais, que ceux qui sont établis illégalement sur le territoire algérien et veulent bénéficier des droits de scolarité et de santé doivent se conformer aux lois algériennes et aux textes et traités internationaux régissant l’immigration clandestine » Une déclaration vague qui est loin de rassurer des milliers de subsahariens dont une majorité résidant depuis des années dans les villes algériennes, souhaitent obtenir un titre de séjour, un contrat de travail ou carrément la nationalité algérienne.
Justement, en plus donc de la religion et d’une grande frange de la société algérienne condamnant ce type de mariages mixtes, la loi algérienne n°08-11 du 25 juin 2008 relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie, est encore plus dissuasive et répressive, puisque dans son article 48, elle stipule « Le fait de contracter un mariage mixte, aux seules fins d’obtenir, ou de faire obtenir, une carte de résident, ou aux seules fins d’acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité algérienne, est puni d’un emprisonnement de deux à cinq ans et d’une amende de 50 000 à 500 000 dinars algériens » ( environs 300 à 3000 euros)
Et comme les lois sont trop rigides, les migrants irréguliers usent fatalement de subterfuges pour ne pas tomber sous le coup de cette loi et échapper à la répression, comme nous l’explique Soulimane « Sachant que je n’ai droit qu’à trois mois de séjour en Algérie, avant que ce délai n’expire, je quitte le territoire en direction de mon pays ou de la Tunisie et je retourne en Algérie le jour même ou 24 heures plus tard. Comme cela, je gagne trois autres mois de séjour. J’ai recours à ce procédé depuis 10 ans. Quant au travail, ici, on est très sollicités parce que l’Algérie manque beaucoup de main-d’œuvre. Parmi nous, il y a des artisans (maçons, peintres en bâtiment, agriculteurs…) Il faut dire qu’on ne chôme pas. Alors, pourquoi l’Etat algérien s’obstine à ne pas régulariser notre situation ? »
Nadia, la quarantaine exprime son raz le bol « Quand j’ai connu un subsaharien à Maghnia, on m’a prise pour une folle. N’y a-t-il plus de jeunes algériens pour que tu portes ton dévolu sur un noir ? » m’ont-ils dit. «Puis ressentant un peu de gêne en faisant référence à la couleur de mon ami, ils se sont ravisés en évoquant la religion. Je leur ai bouclé le bec en leur apprenant que mon mari avait pris le soin de se convertir à l’Islam en public (dans une mosquée) avant de demander ma main. Aujourd’hui, on ne me désigne plus par mon prénom Nadia, mais par le sobriquet de « la femme du noir… »
Couturière, la « femme du noir » fait remarquer sur un ton d’humour, mais le verbe amer « La vérité, c’est qu’on ne veut pas d’un black pour épouser une blanche, mais on fait la chaîne devant chez moi pour que mon black leur répare leurs téléphones portables en professionnel et à bas prix». Comme quoi, on n’en a que faire d’un « kahlouch », mais de ses mains habiles et de son intelligence, si… !
L’Algérie, qui est terre d’accueil pour des milliers de réfugiés, notamment subsahariens, est pourtant loin d’offrir à ce flux de personnes un cadre de vie meilleure que dans leur pays d’origine.
Dans son ouvrage « Le Maghreb à l’épreuve des migrations subsahariennes, immigration sur émigration » publié aux Editions Karthala, Ali Bensaâd, enseignant et chercheur algérien, évoque le cas de mariages entre Algériennes et subsahariens «Dans la seule ville de Tamanrasset (sud algérien) environ deux-cents mariages de ce type sont recensés officiellement (dans les consulats nigériens et maliens, mais évidemment pas reconnus par le côté algérien)” tient à préciser l’auteur. “Ainsi, selon ce dernier, les enfants nés de telles unions, impliquant pourtant des citoyennes algériennes, sont privés d’une existence légale, et ainsi de scolarisation, parce que la législation algérienne ampute les femmes d’une part importante de leur citoyenneté. Autrement dit, « elles ne peuvent pas transmettre la nationalité !
Par ailleurs, le père étranger n’a aucune chance de prétendre à une existence normale et cette situation révèle les diverses impasses des législations algériennes » Celle du statut de l’étranger, par exemple où aucune disposition légale ne prend en compte et n’ouvre la possibilité d’une régularisation et celle du code de la nationalité, quasiment inaccessible à un étranger et non transmissible par la femme. Enfin, concernant le statut de la femme, pour le législateur algérien, « le mariage mixte est socialement inenvisageable pour une femme et interdit, formellement et religieusement, pour les femmes avec des non musulmans… »
A ce propos, le 6 octobre 2013 dans le site français d’actualité Le Huffington Post, Malek Chebel, Anthropologue algérien des religions, spécialiste de l’Islam, expliquait son travail qui s'inscrit dans la volonté de briser les tabous imposés par l'islam des rigoristes et d'arrimer cette religion magnifique aux données du temps présent, en soulignant explicitement que « Les fondamentalistes nous ont mis en coupe réglée avec un vocabulaire bien précis: fatwa, jihad, hallal, haram, qui s'est insinué dans le quotidien, nous empêchant de prendre la parole. Or, nous pouvons combattre cela sur le plan des idées, en créant un nouveau vocabulaire, moderne, qui n'a pas peur -pour autant- de se référer à l'islam… »
Pour sa part, Médecins Du Monde, en collaboration avec l’Unicef et le ministère algérien de la Solidarité, de la Famille et de la Condition de la femme, a mené une enquête dans les wilayas d’Alger, Oran, Annaba et Tamanrasset, concernant les subsahariennes (qui, fait ubuesque, et par la force des lois scélérates, sont mises dans le même lot que les Algériennes ayant épousé des subsahariens).
Les résultats sont effarants : « sur un échantillon de 261 familles (…) même si 83% des mamans ont accouché dans des infrastructures hospitalières publiques, la déclaration de naissance à l’état civil est loin d’être un droit pour tous. Cela est sûrement dû à la formation de couples sans acte de mariage… » Pire, selon la même enquête, « les raisons probables de cette situation calamiteuse sont le recours de la maman à des documents d’emprunt pour pouvoir accoucher dans un établissement hospitalier public… »
Un contournement de la loi inévitable pour prétendre continuer à respirer, encore, l’air d’un pays d’Afrique qui s’obstine à tourner le dos aux Africains, ses semblables. Une philosophie insensée aux conséquences dramatiques pour des enfants qui n’ont pas choisi de naître dans un pays aux lois désuètes. Un horizon obscur pour une génération au sang algérien, aussi, malgré les textes et les hommes…
Pourtant, comme le rappelle bien l’Association Inter Mouvement Auprès Des Evacués (France) « Tout le monde vient « d’ailleurs », tout le monde va « ailleurs », c’est pourquoi l’étranger d’aujourd’hui tout comme celui d’hier ou d’avant-hier est, lui aussi, chez lui ici »
Selma, Meriem, Nadia et les autres… Des femmes sans statut dans leur pays, leurs enfants sans identité, leurs époux d’éternels clandestins…