Le ministère du travail explique ce phénomène par le « faible niveau économique qui engendre de faibles revenus », même si l’inspecteur général du travail tente de minimiser cette réalité en disant : « les derniers bilans présentés par les services de l'inspection du travail confirment une fois de plus que le phénomène du travail des enfants se présente avec des proportions très réduites en Algérie…»
Pourtant, la réalité est toute autre : on les voit dans les cafés, les restaurants, comme plongeurs, parfois serveurs, dans les champs… Cependant, un nouveau métier semble s’incruster dans les us de ces jeunes : pousseurs de brouettes. Un moyen de locomotion qui, d’habitude servant dans la maçonnerie, est actuellement utilisé pour le transport des marchandises.
Ils ont entre 12 et 15 ans. Ils ont quitté l’école prématurément… par nécessité ou simplement pour mauvais résultats scolaires. La rue, racoleuse, leur a tendu les bras. Et qu’importent les lois qui régissent la république.
« Et même si je suis allé jusqu’en Terminale, avoir obtenu le baccalauréat, un master, un doctorat, je ne serais jamais cadre de l’Etat. J’aurais obtenu un contrat dans une administration ou une entreprise avec une rémunération humiliante. Aujourd’hui, des diplômés sont recrutés dans le cadre de l’emploi des jeunes avec un salaire de misère de 15 000 DA (moins de 1 00 euros) sans aucune chance d’être titularisés un jour. Ce n’est pas intéressant pour moi » se justifie Kamel, 14 ans, niveau 2ème année moyenne.
Pour quelques courses d’un endroit à un autre dans sa ville, Maghnia, Kamel gagnerait quotidiennement entre 5 00 et 1 000 DA (30 et près de 60 euros au change parallèle)
« Par exemple, je transporte des produits de toutes sortes d’un vendeur en gros à un détaillant, mais aussi des sacs de voyageurs de la gare routière ou ferroviaire au centre ville ou dans un quartier. Mais, on travaille surtout avec les commerçants qui, pour quelques cartons ne vont pas faire appel à un taxi, tant les distances ne sont pas longues… » explique encore Kamel.
Mais, pourquoi précisément ce moyen de locomotion ?
« C’est simple, il ne coûte pas cher, on n’a pas besoin de permis de conduire et jusqu’à présent personne ne nous a interdit de faire ça ! »
Mais, ce qui interdit à un enfant de travailler, c’est bien la loi.
En Algérie, la scolarité obligatoire jusqu´à l´âge de 16 ans a été renforcée par le biais de la promulgation de la loi 90/11 du 21/04/1990, notamment en son article 15 qui stipule que «l´âge minimum requis pour un recrutement ne peut en aucun cas être inférieur à 16 ans». En revanche aucune réglementation n’a prévu de pénaliser les parents qui obligent leurs enfants à travailler.
Omar, 16 ans, n’a pas sa langue dans la poche « ici, je gagne mieux qu’un fonctionnaire… sans, en plus, payer d’impôts à qui que ce soit, sauf peut-être, de temps en temps, à des agents qui veulent nous déloger de notre aire de stationnement. Un petit bakchich insignifiant. On achète la paix, en fait » dit-il avec un ton d’humour.
Il arrive que des échauffourées éclatent entre les jeunes porteurs. « Avec l’ancienneté, on a réussi à travailler avec des clients, mais certains d’entre nous n’assimilent toujours pas cette règle, d’où des bagarres. C’est ça la loi du marché. »
Il y a un mois, les affaires marchent très mal et ces brouettes risquent de retourner à leur utilisation initiale « Depuis que les autorités ont décidé de lutter sévèrement contre la contrebande entre l’Algérie et le Maroc, le commerce dans la région a sensiblement diminué, pour ne pas dire presque complètement disparu. Les commerçants ne font plus appel à nous parce qu’ils n’ont presque plus à transporter… »
La phrase a été lâchée : leur travail dépendait en grande partie du commerce informel. Et cela explique pourquoi les « commerçants » avaient recours à eux. « Aucun transporteur en commun légal n’accepterait de transporter des marchandises de contrebande » avoue Kamel.
Kamel, Omar et leurs semblables, inventeurs d’un moyen de transport spécial, disparaitront avec une activité illégale longtemps tolérée par l’Etat.
Des chômeurs juvéniles, longtemps habitués à l’argent, que ce même Etat devrait prendre en charge sans trop attendre. « A 16 ans, je n’ai droit à aucun dispositif entrant dans le cadre de l’emploi des jeunes, puisque normalement, je dois être à l’école. Et pour retourner en classe, après trois ans d’absence, c’est du domaine de l’impossible. Je suis donc subitement livré à moi-même, prêt à tout pour obtenir de l’argent. C’est un dilemme… pour nos responsables ! » reconnait Omar, l’air d’interpeller les responsables avec un ton sarcastique sentant la menace…