Dans cette agglomération que l’écrivain Mohammed Dib avait choisie pour décrire dans son roman « l’incendie » un pan de l’histoire de la révolution d’Algérie, la population vit… sous les morts.
« Mon père est décédé il y a 13 ans à l’âge de 105 ans. Il était né ici. Je me rappelle que pendant la guerre, on vivait dans les grottes situées sous le cimetière. Après l’indépendance, les habitants se sont essaimés tout autour, mais toujours en contrebas des morts, d’où notre statut de « les vivants sous les morts » nous renseigne Houcine, épicier, 63 ans.
Les autochtones sont de vrais tlemceniens qui donnent l’impression de ne pas vouloir quitter les lieux, malgré leur situation qui n’a rien à envier aux hommes des cavernes d’antan. « D’abord, avec Beni Boublen, nous avons un lien affectif, culturel, ensuite –et il faut le souligner- ici nous sommes tranquilles, ce sont nos biens et avec les temps qui courent, il n’est pas aisé d’obtenir un logement social ou de quelque nature que ce soit. Les habitants d’ici sont tous de conditions moyennes, pour ne pas dire en dessous de la moyenne…. » renchérit Hocine qui dit, en outre, ne pas échanger son habitation contre la meilleure villa de Tlemcen.
Beni Boublen, circonscription de la commune de Mansourah (Grand Tlemcen) est quasiment ceinturée par les ruines de la civilisation zianide et les monts de Lalla Setti.
« Nous ne percevons pas le quolibet de « Morts sous les vivants » comme une insulte. C’est la géographie et les conditions de vie qui nous l’ont attribué. Au contraire, notre village est unique dans le monde. C’est une référence dans la guerre d’Algérie. En plus des curieux qui viennent voir « ces gens qui vivent sous un cimetière » les habitants d’autres communes viennent aussi s’abreuver de nos fontaines à l’eau fraîche, une eau minérale… » abonde dans le même sens Abdelkader qui confesse avoir déménagé en ville, avant de retourner au bercail « je ne pouvais vivre ailleurs, sans m’en rendre compte, un matin, je suis retourné avec ma petite famille habiter dans la caverne de mes aïeux »
Abdelkader, fier de son village, avoue se sentir mal à l’aise en quittant son environnement « même si nous vivons dans une cité qui ne semble appartenir à aucun autre territoire, nous vivons comme tous les autres Algériens, mais nous sommes différents dans notre façon d’être, c'est-à-dire humbles, pas trop revendicatifs… Nous avons notre école, notre mosquée, nos terres et…nos morts qui nous tiennent compagnie. En toute quiétude ! »
Des enfants déambulent dans les ruelles, nous voyant à peine. Un regard discret, pudique. Très coopératifs, ils répondent comme s’ils avaient senti notre question « Oui, nous sommes les hommes des cavernes, mais nous sommes civilisés… »
Beni Boublen incite à la méditation par sa géographie, par ses mioches, sa population…