Dans cette zone, on rencontre différents groupes sociaux appartenant à des corporations pratiquant diverses activités. Le rythme de vie de ces groupes est foncièrement réglementé par le travail considéré à la fois comme marqueur social et source de revenus.
Ces communautés noires qui peuplent le sud mauritanien qu’elles soient Poular, Soninké ou Wolof, sont subdivisées en quatre principaux groupes dont notamment : Les nobles, les artisans, les niamakala et les esclaves affranchis (de cette dernière catégorie, il ne reste que le nom, les pratiques esclavagistes ayant totalement disparu).
Niénio en Poular et en Wolof, Kitgoliniagana en Soninké, les artisans occupent une place prépondérante tant sur le plan démographique que pour leur apport socio-économique et culturel.
Avant l’envahissement des marchés locaux par des produits importés, ce sont ces artisans qui s’occupaient essentiellement de doter les populations du nécessaire. On se tournait vers eux pour la fabrication des outils agricoles, le matériel et les ustensiles de cuisine, les parures des femmes, la construction des habitats et la fabrication des armes de chasse, de pêche et les armes de combat.
Dans la communauté Poular du Sud Mauritanien, ils sont divisés en quatre grandes fractions : Waylubé (les travailleurs des métaux), Maboubé (les tisserands et les potiers), Laobe (les bucherons) et Sakébé (les cordonniers).
Chaque groupe avait un rôle à jouer grâce aux nombreux services qu’il rendait. Le rythme de vie des populations locales dépendait, essentiellement, de ces braves femmes et braves hommes qui étaient considérés et respectés.
« Aujourd’hui la donne a totalement changé, c’est à peine que nous parvenons à joindre les deux bouts. Les rares clients qui continuent à nous solliciter, c’est généralement à l’occasion des baptêmes, des cérémonies de mariage, des fêtes religieuses. Le reste de l’année, les citoyens se rabattent sur les produits de pacotilles qui inondent le marché local. Ces produits de bon marché qui sortent tout droit des usines chinoises et ne respectent aucune norme de qualité. Au nom du libéralisme sauvage, l’Etat mauritanien se rend complice de la disparition à petit feu de l’artisanat local » proteste vigoureusement Mawdo Gacko Président de l’Association des forgerons de Boghé, assis au milieu d’un atelier de forge très rudimentaire.
Cette complainte trouve également son écho au niveau de l’association des potières de Boghe, de braves femmes dont l’objectif affiché est de gagner honnêtement leur vie. La présidente de cette association est très pessimiste par rapport à un éventuel appui des pouvoirs publics. « Nous n’avons jamais bénéficié de soutien de la part du pouvoir. Le ministère de la culture et de l’artisanat dont nous dépendons ne s’intéresse pas à nous. Aucune formation, aucune assistance ni aucune participation officielle à un événement culturel ou une foire nationale ou internationale. Nous nous sommes finalement résolues à ne compter que sur nos maigres moyens et notre expérience si rudimentaire soit-elle. C’est vrai que dans ce pays, il n’est pas aisé d’être analphabète, pauvre et noir de surcroit» peste-t-elle.
Cette expression d’un trop plein d’amertume est, en effet, le ressenti de l’ensemble des artisans négro-mauritaniens qui n’hésitent pas à fustiger le sort qui leur est réservé par l’administration mauritanienne.
D’ailleurs, selon Moussa Sylla, cordonnier de son état, la discrimination envers les artisans mauritaniens touche pratiquement toutes les communautés nationales y compris celle des maures. « Il a fallu une véritable levée de boucliers de la part de nos collègues artisans maures pour que le pouvoir leur accorde un peu d’importance avec la nomination de la forgeronne Vatma Mint Souweina comme ministre de la culture et l’accès pour la première fois d’un forgeron au grade de général de l’armée mauritanienne » devait –il indiquer.
En effet, telles sont les mesures d’apaisement qui avaient été prises pour étouffer dans l’œuf la contestation naissante des Muaalimin maures, constatation qui avait atteint son summum avec les écrits blasphématoires du jeune forgeron bloggeur Ould Mkhaytir qui continue encore de croupir aujourd’hui en prison.
Au Sud, les choses semblent être plus compliquées. En plus de l’absence de considération à leur égard, les artisans sont souvent victimes d’injustice, à l’image du bucheron Mamadou Korka. Ce dernier qui passe à Boghé pour être un homme sans problème, a connu l’année derrière la pure injustice de sa vie. Il a été arrêté par le chef de brigade de la gendarmerie de cette ville. Il a été accusé de vol et roué de coup. Gardé à vue pendant plus de soixante- douze heures sans que les preuves de sa culpabilité ne soient établies, il a été finalement relâché par le chef de brigade. Aucune plainte n’a été introduite contre le gendarme pour tortures infligées à un innocent.
« Je sais que je n’aurais pas gain de cause. Dans ce pays des pauvres bucherons comme moi sont condamnés à raser les murs. Je n’attends rien d’une justice dont les défenseurs sont les premiers à l’enfreindre » regrette-t-il amèrement.
Des voix s’élèvent toutefois de plus en plus dans le milieu des artisans de la vallée pour fustiger certains aspects de l’intervention de l’Union Européenne à travers son programme PESCC (Programme européen pour la société civile et la culture). Selon Abou Sy de l’Association des forgerons de Boghé, les financements octroyés aux organisations de la société civile dans le cadre de la revalorisation de l’artisanat local, n’ont aucun effet positif. «Nous avons plus besoin d’appui direct sous forme de formation et d’équipement que de discours creux. Récemment un festival de l’artisanat a été organisé à Boghé par le programme européen, mais c’est plus le côté carnavalesque qui a retenu les attentions » indique-t-il.