La ministre italienne voulait donc protéger son pays contre cette nouvelle marée. Malheureusement pour elle, il n’y avait pas eu ni intervention étrangère, ni stabilité en Libye. Et l’immigration clandestine a repris de plus belle. Le week-end du 16/17 avril, les infos ont rapporté qu’une embarcation a chaviré du côté de Toubrouk dans l’Est libyen, avec des centaines de disparus. Le week-end dernier du 1er mai, quatre petites embarcations auraient chaviré, selon les rescapés, repêchés par un bateau de marchandises. 90 personnes seraient disparues. Le calvaire des immigrés clandestins reprend de plus belle.
Pourtant, tout le monde se rappelle très bien des catastrophes du printemps 2015, notamment en avril, quand les eaux de la Méditerranée avaient englouti des milliers d’immigrés clandestins. La date du 19 avril 2015 est tristement célèbre avec la déroute d’une embarcation, entrainant la mort de près de 800 personnes. C’étaient des jeunes et des moins-jeunes qui ont été obligés de fuir leur pays pour un avenir meilleur. Ils ont fui la misère ou les atrocités d’une guerre.
Dune-voices a rencontré le Gambien Ibrahima, sur la plage de Zouara, une ville libyenne côtière à mi-chemin entre la capitale Tripoli et les côtes tunisiennes. Le jeune transsaharien de 22 ans ne semble pas avoir peur du danger qui l’attend s’il entame la traversée. Il raconte son aventure : « Je n’ai rien perdu en quittant mon pays fin 2013. Ma famille a tout vendu pour me procurer les 400 $ nécessaires pour arriver en Libye. Depuis, j’ai dû travailler pendant les deux dernières années afin de réunir les 1.000 Euros, nécessaires pour la traversée ».
En lui posant la question sur ce qu’il allait faire en Europe, il répond fièrement : « J’ai désormais appris la peinture et quelques travaux de construction ; des travaux très demandés en Europe. L’essentiel, c’est que j’arrive là-bas ».
Ibrahima est conscient des risques accompagnant cette traversée. Mais, il dit avec une fatalité déconcertante : « Moi et mes semblables sommes conscients du danger de mort dans une aventure pareille. Mais, nous n’avons pas de choix. Il y a soit cette mort lente chez-nous au fond des brousses, soit une mort rapide lors de la traversée vers l’Europe. Mais, il y a également cette chance, même infime, de réussir à atteindre l’une de ces villes et dénicher un emploi respectable ».
En rappelant à Ibrahima les échecs de multiples traversées en pareille période l’année écoulée et comment le mois d’avril 2015 a connu un nombre de décès 30 fois supérieur à 2014, selon les chiffres de l’organisation mondiale de la migration, il a répondu en contemplant l’horizon : « personne ne peut échapper à son destin », écoutant à peine les chiffres qui lui étaient cités : 5.350 disparitions en 2015 et 5017 en 2014. Ibrahima pense plutôt aux 350.000 qui ont réussi la traversée. Il regagne sa cabane en répétant : « Personne ne peut échapper à son destin ».
Si l’immigration clandestine reprend de plus belle, c’est en raison de cette obstination de traverser d’une part. Mais, surtout, à cause de l’absence d’un Etat central en Libye pouvant empêcher une telle traite d’humains. Lequel trafic rapporte un argent fou aux groupes de contrebandiers qui l’organisent. D’ailleurs, les mécanismes prévus par l’Union européenne n’ont pas empêché l’organisation de marine internationale, relevant de l’ONU, de publier un rapport estimant à un demi-million le nombre d’immigrés clandestins prévus à travers la Méditerranée en 2016, ‘avec le risque de voir de nouveau des milliers de victimes si l’on n’arrête pas ces manœuvres criminelles’, dit le rapport.
Et en rapport avec la recrudescence de ce mouvement de migration entre les deux bords de la Méditerranée, l’expert tunisien Sami Aouadi a attiré l’attention de Dune-voices au fait que : « si ce phénomène de migration vers l’Italie, la Grèce et bien d’autres pays européens, a pour principale origine des phénomènes sociaux comme la guerre ou la pauvreté, il ne faut pas négliger le fait que l’Europe vieillit et qu’elle a besoin de sang nouveau pour carburer ». L’universitaire pense que c’est aussi l’une des raisons de la passivité face à ce phénomène.
Le dossier de l’immigration clandestine est compliqué, de nature. La complexité de la situation libyenne l’a rendu inabordable avec notamment des liens douteux entre les passeurs et les groupes armés. La ministre italienne Roberta Pinotti doit encore attendre.