Il s’agit en effet d’une querelle qui dure depuis des années entre la position officielle niant l’existence de cas de traite et celle des organisations des droits de l’homme et de la défense des droits des anciens esclaves qui assurent l’expansion du phénomène et accusent l’appareil exécutif et judiciaire d’assurer la couverture des "maîtres d’esclaves", malgré la panoplie juridique dernièrement adoptée en vue d’éradiquer ce fléau.
Les Maires ont publié une déclaration qu’ils décrivent comme historique et qu’ils ont appelée « la Déclaration d’Aleg ». Dans ce texte, un appel a été lancé aux chefs des Conseils Régionaux, aux organisations nationales et internationales des droits de l’homme, aux partenaires de l’état en matière de développement, ainsi qu’au gouvernement mauritanien pour qu’ils contribuent positivement à la mise en place de cette nouvelle vision des choses. Ils ont également exprimé leur volonté de travailler bénévolement à mettre à nu toutes les éventuelles pratiques esclavagistes et à prendre des mesures aptes à pallier aux séquelles laissées par ces pratiques sur les victimes, se fondant en ceci à la fois sur les préceptes de la religion musulmane et sur l’arsenal juridique en vigueur dans le pays.
Cette nouvelle dynamique amorcée par les Maires s’inscrit dans le cadre du premier Conseil Municipal Ouvert de Mauritanie, organisé dans la ville d’Aleg le 22 novembre dernier et consacré à la discussion d’un rapport préparé par une commission technique au niveau de la circonscription géographique de la municipalité d’Aleg. La commission s’est basée sur les résultats d’une enquête de terrain sur les différents quartiers, ainsi que sur nombre d’entrevues et de rencontres avec des imams et avec de hauts dignitaires, en plus de militants des droits de l’homme et de certaines organisations de la société civile. A partir de toutes ces données, la commission affirme dans son rapport que la municipalité n’est pas impliquée dans des pratiques de traite humaine en soulignant que les conséquences de ces pratiques demeurent encore perceptibles dans de nombreuses régions. Des solutions ont donc été proposées pour y pallier à court, moyen et long termes.
Albou Oulet Asniba, membre du bureau exécutif de l’organisation "Secours des Esclaves", active dans la défense des droits des anciens esclaves, affirme que son organisation a enregistré durant les dernières années plus de 100 cas d’esclavage dans plusieurs régions du pays. Et bien qu’une plainte ait été déposée auprès des autorités judiciaires au niveau des instances spécialisées dans le soutien des victimes d’abus, la justice n’a pas pris au sérieux le recours de l’organisation, faisant ainsi preuve d’une nette complaisance vis-à-vis des " maîtres d’esclaves ".
Albou Ouelt Asniba considère aussi que la province de Baseknou, située à l’est de la Mauritanie, à proximité de la région de l’Azawad dans le nord du mali, est considérée aujourd’hui comme une citadelle imprenable de l’esclavage, dans la mesure où les "maîtres" tirent profit des circonstances particulières de ces contrées lointaines et isolées, ainsi que de la propagation de l’ignorance, des difficultés de la scolarisation et du manque d’intérêt médiatique que suscite la région pour échapper aux dénonciations et éviter de rendre des comptes.
Ouelt Asniba termine en disant que si le rapport technique élaboré au niveau de la circonscription géographique de la municipalité d’Aleg certifie que cette dernière n’est pas concernée par ces pratiques, il n’en demeure pas moins que les séquelles évoquées dans ce rapport doivent absolument être traitées en urgence et avec beaucoup de sérieux afin de rendre justice aux victimes et de peur que, ces séquelles ne transforment ces personnes en bombes à retardement, au cas où toute l’ampleur de leurs souffrances ne serait pas prise en considération.
La cérémonie organisée en clôture de la session du conseil municipal ouvert pour fêter la signature de la Déclaration a également été l’occasion pour plusieurs anciens esclaves de dénoncer l’existence de nouveaux modes d’esclavage dont, par exemple, le fait d’orienter les projets de développement vers des zones bien déterminées considérées comme prioritaires en matière de santé, d’éducation et de chaussées goudronnées. Ils ont également appelé à surveiller le rôle et le rendement de la presse officielle qu’ils considèrent comme un exemple vivant de la consécration de l’esclavage et de l’exclusion de la catégorie des "Haratins".
Par ailleurs, certains militants appartenant à cette catégorie sociale des "Haratins" ont exigé que la discrimination positive se fasse à travers un suivi sur le terrain du rendement des établissements scolaires et de santé dans les milieux précaires et l’encouragement de la formation professionnelle au profit des personnes qui ont dépassé l’âge de la scolarisation afin de les intégrer dans la vie active.
La question demeure toutefois de savoir jusqu’à quel point les conseils régionaux du pays pourront généraliser cette expérience et réagir fermement aux cas d’esclavage qui pourront être détectés au cours de l’action des commissions techniques. Il s’agit également de savoir comment les instances concernées telles que les organisations nationales et internationales des droits de l’homme, ainsi que les partenaires du pays en matière de développement, comprendront cet intérêt soudain accordé au phénomène par les Conseils Régionaux.