En effet, Sa Majesté ne sert plus les objectifs pour lesquels elle monta sur le trône de l’information et n’est plus qu’une couverture pour mendier et faire du vulgaire commerce, à tel point que la situation du secteur des médias mauritaniens est devenue lamentable, comme le rapportent certains observateurs passionnés de ce métier.
L’un des aspects de cette situation est le phénomène du " Per Diem " qui devient pour de nombreuses personnes la motivation principale de leur exercice professionnel. Il s’agit d’une somme d’argent habituellement accordée par les comités d’organisation des congrès et de plusieurs autres activités aussi bien aux journalistes qu’aux « pseudo-journalistes » de ce secteur qui souffre déjà du laxisme et de l’anarchie. Or, quelques uns des bénéficiaires de cet argent sont souvent sujets à des pressions et à des intimidations de la part de certains responsables qui utilisent le « Per Diem » comme appât pour les asservir et mettre leur plume au service de certains intérêts personnels. Cette catégorie de manipulateurs et de manipulés existe désormais en Mauritanie et c’est ce qu’on appelle une « presse du ‘Per Diem’ ».
Au milieu des appels incessants à purger le secteur, le normaliser et y mettre de l’ordre, les professionnels des médias mauritaniens sont divisés entre ceux qui défendent le principe du "Per Diem" et le recherchent par tous les moyens et ceux qui s’y opposent catégoriquement en appelant à boycotter cette pratique afin de faire passer l’esprit professionnel avant la logique lucrative.
F.M, journaliste à l’une des chaines télévisées mauritaniennes, définit le "Per Diem" comme étant « une indemnité financière conséquente accordée aux journalistes en échange des frais de couverture des congrès et de diverses autres activités. Ladite indemnité fait partie d’un budget soumis chaque année au vote du Parlement et fixé par la loi à une somme allant, pour la couverture d’un seul événement, de 10000 à 40000 ouguiyas par personne et de 20000 à 40000, voire même 50000 ouguiyas environ, lorsqu’il s’agit d’une équipe composée d’un journaliste, d’un photographe et d’un chauffeur. Le "Per Diem" est accordé en général à tous les journalistes sans exception mais la priorité est toujours donnée à la presse officielle ».
Dans le groupe des défenseurs du "Per Diem", la plupart des personnes que nous avons approchées, ont refusé de parler, encore moins de témoigner à ce sujet. En effet, il a été très difficile de trouver parmi eux un journaliste qui ose aborder la question.
Une journaliste a toutefois accepté de nous confier : « Je travaille comme journaliste depuis sept ans et j’ai reçu beaucoup d’indemnités financières, sans que cela n’altère mes méthodes de travail. Cependant, certains s’adonnent malheureusement à des pratiques non professionnelles en se mettant au service de certaines personnes. En ce qui me concerne, je n’ai jamais été victime de chantage, mais beaucoup de collègues m’ont raconté des histoires où certains responsables exercent sur eux des pressions afin de parvenir à leurs fins. De même, certains organisateurs des manifestations procèdent à une distribution publique et humiliante du "Per Diem", selon des critères qui dépendent de leur bon vouloir et selon la tête du client ».
Il est toutefois à signaler que pareilles explications des défenseurs du "Per Diem" ne suffisent pas pour convaincre les boycotteurs qui le considèrent comme de la vulgaire corruption déguisée.
En effet, Nebghouha Mint Zeydane, journaliste à la radio Sahara Media et rapporteur à la chaine La Mauritanienne, affirme à ce sujet : « Personnellement, je ne suis pas pour l’attribution d’indemnités sur les couvertures médiatiques de la part des organisateurs des activités et cela pour plusieurs raisons. La première de ces raisons, c’est que je n’admets pas que la sympathie engendrée par ces faveurs se fasse aux dépens d’une information de valeur. De plus, je pense qu’informer est une mission tellement sacrée pour le journaliste qu’en aucun cas il ne devrait se mettre dans une situation qui pourrait mettre en doute sa neutralité en mettant sa plume au service de certains intérêts. Malheureusement, en tant que rapporteur, je constate tous les jours les répercussions de ces pratiques sur un terrain de plus en plus conquis par cette presse qui vit de ‘mendicité médiatique’. D’ailleurs, j’ai souvent honte de me présenter comme journaliste, de peur que mon interlocuteur n’en arrive à se demander quel serait le prix de ma plume ».
Le journaliste A.H pense, lui-aussi, que le "Per Diem" est une pratique honteuse et gênante. Il affirme à ce propos: « Travaillant comme rapporteur dans l'une des chaînes télévisées mauritaniennes, il arrive que je me déplace tous les jours pour couvrir des événements souvent officiels. Mais chaque fois qu'on me propose du "Per Diem", je me sens profondément gêné car, au fond, je le considère comme un pot de vin par lequel le donneur chercherait à servir ses propres intérêts en intervenant dans les procédures de mon travail et en faisant pression sur moi pour que je taise ou déforme une information quelconque, ce qui est évidemment aux antipodes des principes généraux régissant la pratique professionnelle du journaliste intègre. C'est pourquoi, personnellement, je n'accepte pas de percevoir du "Per Diem", même si j'ai été plusieurs fois sujet à de vives critiques de la part des responsables à cause de cela ».
Les propos de Mohamedi Moussa, journaliste à Sahara Media, vont dans le même sens: « Au début, vous pouvez penser que le "Per Diem" est un geste de remerciement qui vous est fait comme suite naturelle à la mission noble qui vous est confiée. Mais la plupart du temps, il s’agit d’une opération par laquelle on achète sournoisement le journaliste pour le contraindre à passer sous silence les torts de son, ou de ses, bienfaiteur(s)… Je préfère m’en passer et me contenter de mon salaire afin de faire mon devoir sans avoir à me soumettre à des conditions qui me seront dictées par celui qui m’aura donné ledit " Per Diem" ».
Un des journalistes qui ont récemment intégré le secteur de la presse s’exprime à son tour sur ce sujet en disant : « Depuis que j’ai rejoint le domaine des médias, je me suis posé plusieurs questions sur la légitimité du "Per Diem", notamment avec l’expansion de pratiques très peu professionnelles dans ce domaine déjà fortement frappé de laxisme... Et j’ai donc décidé de ne jamais percevoir de "Per Diem", avant de prendre l’avis d’un de mes professeurs éminents en qui j’ai une confiance absolue et qui jouit d’une réputation sans failles. Ainsi, lorsque j’ai croisé l’ancien Secrétaire général du Syndicat des Journalistes Mauritaniens, le Dr Al Houssein Ould Maddou, je lui ai posé la question et il m’a donné une réponse concise et précise en disant : "C’est une somme d’argent qu’on donne aux journalistes de façon tout à fait légale, et selon un usage courant non seulement en Mauritanie mais aussi dans beaucoup d’autres pays, pour les indemniser des efforts et des frais consentis dans l’exercice correct de leur métier. Cependant, en Mauritanie, le "Per Diem", est souvent utilisé à des fins non avouées. Il dépend du bon vouloir des uns et des autres et s’attribue à la tête du client suivant des méthodes détournées. A tel point que l’opération tout entière obéit désormais à une logique qui n’a rien à voir avec l’objectivité et la neutralité et mène le journaliste qui perçoit cet argent à des pratiques non professionnelles. C’est pourquoi je conseille aux journalistes de l’éviter autant que possible" ».