Ce contraste est encore plus saisissant au niveau des villes comme Nouakchott, Nouadhibou ou Zouerate qui ont connu ces trente dernières années une forte poussée démographique consécutive à l’exode rural provoqué par la grande sécheresse des années 70.
Nouadhibou et Zouerate sont les pôles économiques qui concentrent plus de 60% des activités maritime et minière en Mauritanie. Ces villes ont vu leurs populations augmenter considérablement. La ruée vers ces deux villes au milieu des années 80 par des ruraux à la recherche du mieux vivre a changé leur configuration. La multiplication des quartiers précaires s’est soldée par la propagation de la pauvreté et ses corollaires sociaux. Le nombre de pauvres s’est multiplié et avec lui des problèmes liés à l’éducation, la santé, la violence urbaine et les trafics de tous genres.
De même pour la capitale Nouakchott qui comptait 80.000 Habitants en 1960 et qui en compte aujourd’hui plus d’un million. D’ailleurs selon le rapport N° 11/252 du FMI publié en 2011, déjà en 2008 la population des quartiers précaires à Nouakchott était estimée à 194.000 habitants (25% de la population totale de la ville) soit environ 38.800 ménages occupant une superficie de 1072 ha.
Cette poussée démographique qui s'est poursuivie pour atteindre des proportions plus critiques, est due, essentiellement, à l’arrivée massive des populations en provenance de l’intérieur du pays.
Des quartiers périphériques ont continué à pousser dans cette ville comme des champignons à la faveur du redoutable phénomène « Gazra » véritables niches de pauvreté où sévissent maladie, ignorance, insécurité, analphabétisme, malnutrition et insalubrité.
En majorité des éleveurs venus des deux Hodhs et l’Assaba (l’Est du pays) dont le cheptel a été décimé par la sécheresse, les habitants de ces quartiers précaires sont analphabètes et sans aucune qualification.
Faute de pouvoir s’intégrer dans le tissu économique, ces derniers sont devenus des parias vivant aux crochets d’une société cloisonnée marquée, de plus en plus, par l’individualisme. Les mendiants qui peuplent quotidiennement le centre-ville de Nouakchott, les carrefours, les mosquées, les devantures des banques et certains immeubles administratifs, sont issus de cette catégorie sociale naufragée et sans aucune issue.
«Je suis paraplégique, je me nomme Mahmoud Ould Isselkou et j’habite à Fallouja (quartier périphérique de Nouakchott). J’éprouve toutes les peines du monde à subvenir aux besoins de ma famille. Je ne vis que de mendicité faute de pouvoir faire autrement. Je reste deux à trois jours sans trouver de quoi nourrir ma famille ».
Des mendiants comme Mahmoud, Nouakchott en compte par milliers. En 2001 dans le cadre de son programme national de lutte contre la mendicité, le commissariat aux droits de l’homme à la lutte contre la pauvreté et à l’insertion avait recensé 2000 mendiants. L’absence de suivi et la mauvaise gestion ont fait capoter ce programme. Les mendiants ont repris leurs quartiers dans les rues, les avenues, les marchés, les carrefours et leur nombre a augmenté en flèche. Certaines estimations les chiffrent actuellement à plus de 4500.
Ramata Mamadou est originaire de la localité de Kankossa (province de l’Assaba). Elle vit avec son mari et leurs trois enfants dans une vieille baraque avec comme seul mobilier un placard usé et un vieux matelas. Le revenu journalier de la famille ne dépasse pas en moyenne 600 UM (1,69 $).
« Mes enfants ne vont pas à l’école faute de moyens. Nous ne mangeons pas à notre faim, nous pouvons rester toute une journée sans avoir de quoi se mettre sous la dent. Notre situation est très critique mon mari est un travailleur occasionnel. C’est avec mon petit commerce que j’arrive, un tant soit peu, à entretenir mes enfants. Nous avons quitté Kankossa espérant trouver des meilleures conditions de vie à Nouakchott mais nous regrettons aujourd’hui d’avoir fait ce choix. Là-bas au moins notre maison nous appartient ici la menace de déguerpissement à tout moment est suspendue à nos têtes comme une épée de Damoclès», précise-t-elle.
En effet, le problème de la propriété foncière se pose avec acuité pour les habitants des quartiers précaires. « Nous occupons la Gazra Alagh Charbe depuis le milieu des années 90. Nous avons toujours espéré que les terrains nous serons attribués mais depuis les événements de la Gazra de Bouamatou (révolte des occupants et échauffourées avec la police avec des blessés des deux côtés) , nous commençons à douter de la sincérité des promesses qui nous ont été faites. L’État mauritanien est plus prompt à attribuer des terrains aux hommes d’affaires et aux riches qu’aux populations pauvres. Et si par extraordinaire des terrains sont attribuées aux pauvres c’est généralement dans des endroits très éloignés et non viabilisés » lance Moustapha Ould Mabrouk habitant d’Alagh Charbe.
D’ailleurs selon ce fonctionnaire du ministère de l’intérieur qui a requis l’anonymat, la mauvaise gestion du foncier à Nouakchott risque d’attiser les conflits intercommunautaires. Le dangereux cloisonnement est perceptible avec des quartiers négros (Sebkha, Arafat, Missid Nour, Basra), quartiers harratines (Dar Naim, El Mina, Mendes) ou quartiers maures ( Toujenine, Bouhdida, Tun souweilim, Tevragh Zeina).
La répartition injuste des richesses du pays et l’absence d’une prise en charge effective de la diversité culturelle aidant, il n’est pas exclu, selon lui, que des soulèvements populaires puissent se produire mettant en danger la paix sociale.