« Pour être belle il faut souffrir »
« Cet adage prend toute sa dimension, lorsque », explique le Docteur Ahmed Ould Hedda, dermatologue, « l’on voit la souffrance des victimes de la « Qounboule », une bombe chimique appliquée sous forme de crème sur la peau. Les veilles de mariage, on fait ingurgiter à la mariée, une mixture de plusieurs produits à base de corticoïdes, pour obtenir une dépigmentation accélérée. Cette pratique a un effet explosif - d’où le nom - sur l’état général de santé de la victime, car aucun organe n’est épargné. Ces ravages catastrophiques vont de l’atrophie de la peau, qui conduit à un vieillissement prématuré, à des formes d’acné, furoncles, dermatoses, jusqu’aux effets systémiques tels que l’hypertension, le diabète, l’insuffisance rénale (qui conduit à une baisse de l’immunité), ostéoporose (faiblesse des os). Le phénomène s’est propagé dans toutes les communautés, essentiellement chez les filles entre 18 et 45 ans. »
Lala, qui est praticienne traditionnelle, spécialisée dans les soins de beauté surtout chez les mariées, raconte le traumatisme qu’elle a subit le jour où elle épilait une dame à la cire : « je n’avais pas encore l’habitude de voir des peaux dépigmentées. J’étais en train d’appliquer la cire sur la cheville de ma cliente, lorsqu’une partie de la peau s’arracha. Je me suis retrouvée avec un pied sans peau, tout sanglant. Une image horrible qui m’a empêché de travailler pendant des mois. Depuis, ce jour, je suis vigilante : dès que je vois une peau translucide ou acnéique, je refuse d’appliquer la cire ou le henné ».
Selon Lala, il est quasi impossible d’appliquer le scotch qui sert de pochoir aux dessins artistiques du henné, sur une peau dépigmentée. « Je risque de l’arracher », dit-elle « au moment de l’enlever. Le pire, c’est lorsque les mariées soumises à la bombe (Qounboula), reviennent du hammam - qui est l’étape ultime de la mise en beauté - elles sont dans un état de souffrance extrême : l’effet de la chaleur du hammam sur la peau traitée chimiquement, agit comme un détonateur en brulant la peau. J’ai vu les familles improviser un lit de melhafa (habit traditionnel des femmes) rempli de glaçons, sur lequel on allonge la mariée pour calmer ses brûlures ».
Des pratiques naturelles en voie de disparition.
« Je suis choquée par ces nouvelles pratiques, qui sont en train de remplacer nos vieilles bonnes traditions saines. C’est scandaleux, il faut faire quelque chose ! » S’insurge Lala. Il était de coutume d’enfermer la mariée dans ses quartiers, juste après la demande officielle en mariage (ou khoutba) et ce jusqu’à la nuit de noces, pour une opération « Beauté ». Elle était prise en charge, durant cette période, par les amies de sa mère, de ses tantes, qui lui imposaient tout un programme diététique et cosmétique pour l’embellir : des céréales, du lait, des dattes comme alimentation et des massages aux huiles végétales (olive, karité, argan, coco, baobab) et au henné. »
« Aujourd’hui, elles ont remplacé ces produits naturels et pas chers, par des produits chimiques dangereux et très couteux. Elles sont pressées et ignorantes, et donc elles choisissent la facilité, même si c’est dangereux. Le drame aussi, c’est que l’on pense que l’on ne peut plus décrocher des produits chimiques, à cause de la difficulté de sevrage, et donc on se condamne pour la vie ». Conclut-elle.
« J’ai arrêté parce que j’étais devenue plus vilaine qu’avant… »
Mariem, 31 ans, avait commencé à utiliser les produits dépigmentant à l’âge de 27 ans. Elle voulait être plus belle et rêvait de porter de belles tenues. Mais très tôt elle s’est rendue compte qu’elle était en train de perdre sa peau, sa santé et ses économies. « J’étais obligée de me cacher tout le corps, j’avais honte, je ne pouvais plus sortir, je ne supportais plus aucun regard » confie-t-elle. « De plus, je dépensais plus de 8.000 UM par mois pour acheter un lait et un tube, que je devais mélanger en plus du savon. Un budget que je ne pouvais pas toujours obtenir. »
Témoignage de Mariem
Aujourd’hui, sa peau est redevenue normale et elle se sent soulagée d’avoir échappé à cette « mort lente », comme elle dit.
Comprendre et soigner.
Mme Yaye Ndaw Coulibaly, docteur en Pharmacie et sénatrice, était en 2004 inspectrice des pharmacies au sein de l’inspection Générale de Santé. A l’époque, elle organisait des opérations « coups de poing» pour enlever les produits dépigmentants des commerces, pour sensibiliser sur le danger de ces produits. Mais cela ne suffit pas. « On a vu au Sénégal, que l’utilisation de ces produits est interdite et ici, rien n’est fait pour contrôler sa propagation. » dit-elle. « Un comble, lorsque l’on sait que c’est de là-bas, que nous avons hérité cette pratique ».
«Nous voyons que le phénomène prend de l’ampleur », constate Dr Hedda, « et ce malgré toutes les prises de consciences, malgré toutes les campagnes menées. Il ne faut pas oublier aussi que la nature humaine fait que l’on n’est jamais satisfait de son état : les blancs veulent bronzer, les noirs veulent blanchir, etc. La couleur de la peau est aussi un symbole d’appartenance sociale. Mais, le phénomène qui est un problème de santé publique, demeure un problème fondamental d’éducation.»