Le risque de malnutrition est d’autant plus grand qu’en Mauritanie, l’année 2015 s’annonce extrêmement difficile sur le plan agricole à cause du manque de pluies et de pâturages. L’été et la période de soudure pointent déjà comme un cauchemar hantant la vie des populations, notamment en milieu rural. En effet, il faut savoir que l’élevage et l’agriculture, premières sources de vie, sont sujets aux aléas climatiques : sécheresse, invasions de criquets, vagues de chaleur, inondations, etc. Ceci dit, la vie devient de plus en plus difficile pour une population, dont la moitié vit déjà sous le seuil de la pauvreté, alors qu’environ 20% des ménages mauritaniens sont en situation d’insécurité alimentaire.
Prise en charge de proximité
C’est à la suite de la sécheresse qui a frappé le Niger en 2005, causant la mort et le déplacement de dizaines de milliers personnes, que certains pays du Sahel se sont mobilisés en partenariat avec l’Unicef, le Programme alimentaire mondial (PAM) et Médecins sans frontières (MSF) pour adopter des stratégies de prévention et de lutte contre la malnutrition (aigue et modérée). Et c’est dans ce cadre que l’on trouve, depuis 2007, en Mauritanie, le Programme de Prise en Charge de la Malnutrition Aiguë (PCIMA), piloté par le ministère de la Santé en partenariat avec l’UNICEF, l’OMS et le PAM ; ce programme implique aussi des associations de la société civile locale. Celles-ci sont parfois implantées à l’intérieur du pays, voire même dans des zones reculées et complètement enclavées.
Le PCIMA englobe un ensemble de dispositifs allant de la prévention jusqu’à la prise en charge en passant par le dépistage précoce. Là, on peut citer par exemple les centres de récupération nutritionnelle en interne (CRENI pour hospitalisation).
Dune Voices s’est rendu dans un CRENI rattaché au centre médical Kissal, dans la moughataa (préfecture) d’El Mina qui est une zone périphérique de la capitale et où la marginalisation bat son plein. Ce CRENI est soutenu par l’UNICEF à travers l’ONG internationale: Terre des Hommes.
« Chaque semaine, environ 26 femmes séjournent ici en compagnie de leurs bébés souffrant de malnutrition en vue de bénéficier des services du CRENI. Nous leur offrons des aliments thérapeutiques (laits, vitamines, aliments enrichis, etc.) en plus de certains médicaments en cas de besoin», explique Mariem Thiam, la nutritionniste du CRENI de Kissal.
Ce mercredi, la salle est remplie de monde. C’est la consultation hebdomadaire. Des mamans, portant leurs bébés, attendent sereinement leur tour. Les cris des bébés déchirent de temps à autre le silence du centre. Chaque mercredi, les femmes assistent ici à des séances d’éducation nutritionnelle animées par des spécialistes. On évoque l’importance de l’hygiène, de l’allaitement exclusif pendant les six premiers mois et les bonnes habitudes nutritionnelles.
« Il m’a été difficile d’assurer les besoins de mon enfant : Abderrahmane, qui a juste neuf mois. C’est pourquoi, il souffre d’une malnutrition aiguë, diagnostiquée par le médecin du centre lorsqu’il a mesuré son poids », articule difficilement Akhbarha, mère d’Abderrahmane. Cette haratine (descendante d’anciens esclaves) venait de perdre, il y a juste quelques mois, la sœur ainée d’Abderrahmane.
Les femmes sédentaires bénéficiaires des CRENI savent cependant qu’elles ont beaucoup de chance en comparaison avec les autres familles nomades, dispersées dans le Sahara derrière leurs troupeaux.
Les enfants de ces ménages ruraux n’arrivent pas à bénéficier pleinement des services des CRENI. La poursuite des troupeaux par leurs familles nomades est un obstacle à leur traitement de la malnutrition.
Stratégies mobile et fixe
D’après Abdellahi Boubacar, médecin-chef du centre hospitalier de Guerou (Wilaya de l’Assaba, à 600 Km de Nouakchott), la situation des enfants nomades laisse à désirer. Ils sont victimes du mode de vie de leurs parents. « Les familles venant des zones lointaines ne peuvent pas rester plus de quatre jours avec leurs enfants hospitalisés en ville. Elles obtiennent leur gagne-pain grâce à des activités quotidiennes», constate Aboubacar qui se félicite, toutefois, de certaines récentes initiatives, lancées par le PAM et les MSF, consistant à dédommager ‘symboliquement’ les parents qui acceptent de rester avec leurs enfants mal-nourris durant toute leur hospitalisation (dépistage, prise en charge, suivi de traitement).
Au Tagant, en plein cœur de la Mauritanie, la situation est toujours compliquée vu le relief difficile de cette région. L’ONG locale AMAMI (Association mauritanienne d’aide aux malades indigents) travaille au niveau de la prise en charge dans cette vaste wilaya. « Nous disposons de deux stratégies de travail : fixe et mobile. La première consiste à appuyer les centres médicaux dans les trois moughataas du Tagant. La deuxième cible, quant à elle, les regroupements de populations nomades. Cette dernière mobilise trois équipes mobiles à raison d’une équipe dans chaque moughataa. Chaque équipe est composée de spécialistes en nutrition et d’infirmier(e)s », déclare Moulaye El Mehdy Ould Moulaye Zein, président d’AMAMI.
A l’instar des autres ONG qui militent contre la malnutrition, AMAMI agit à l’intérieur du pays en coordination avec les DRASS (Directions régionales de l’action sociale) et en bénéficiant de l’appui des organisations internationales spécialisées: MSF, UNICEF, PAM, etc.
Même au niveau des villes, il y a encore un long chemin à parcourir pour changer les mentalités du personnel médical. « Il faut reconnaitre que la malnutrition est une maladie mortelle à l’image du paludisme et le VIH. Beaucoup de centres hospitaliers ne sont pas motivés pour prendre en charge les enfants malnutris. Car leur traitement et leur suivi sont coûteux et ne procurent pas de revenus vu la gratuité des services », avoue le pédiatre Wagué Diango qui est d’ailleurs le directeur adjoint du centre hospitalier de Kaédi (plus de 400 Km au Sud de Nouakchott).
Vers une politique transversale ?
Selon certains spécialistes, la lutte contre la malnutrition fait face à d’autres genres de défis. Il s’agit en effet de garantir la pérennité de l’action, de composer avec la très vaste étendue du territoire mauritanien (plus d’un million trente mille Km2) et bénéficier d’une ligne budgétaire permanente de la part du gouvernement pour cette priorité de la santé publique.
Pourtant, cette lutte est en train de porter ses fruits. D’après Elisabeth Zanou, chargée de la nutrition auprès de l’Unicef en Mauritanie, « seulement 46% de centres médicaux offraient en 2012 les soins pour les enfants mal-nourris tandis que 80% de ces centres l’offrent actuellement en 2015».
Ces améliorations dans les prestations sanitaires ont permis aussi de réduire la mortalité infantile en luttant contre la malnutrition aiguë. « 19 000 enfants cas sévères de mal-nourris de moins de cinq ans ont été traités en 2014 contre 10 000 en 2012», s’est réjouie Mme Zanou.
Par ailleurs, le problème de la malnutrition doit désormais être résolu à travers une politique transversale, qui ne se limite pas au secteur de la santé mais implique également d’autres départements, comme l’élevage, l’éducation, l’hydraulique ou l’agriculture. C’est l’une des principales recommandations des travaux de la Revue du Programme de Prise en Charge de la Malnutrition Aiguë ( PCIMA) en Mauritanie, qui se sont déroulés du 26 au 28 mai 2015 à Nouakchott en présence de différents acteurs concernés par la question.