Couverture religieuse ou sociale ?
Navaa Ould Khattri, aakad (celui qui accomplit l’acte traditionnel du mariage), constate que ce contrat social prend, aujourd’hui deux nouvelles formes principales : la première légale, remplit exactement les mêmes conditions que le mariage normal, excepté celle de la publication. C’est-à-dire que le tuteur de la mariée, le marié ou son représentant et les 2 témoins sont présents devant le aakad, la dot est fixée et le contrat rédigé. Seule différence, l’une des parties demande à l’assemblée, à la fin de la rencontre, la discrétion autour de ce contrat pour des convenances personnelles.
«Soit, le mari est déjà marié, donc c’est un cas de polygamie, et c’est le cas le plus fréquent » explique le jeune aakad, «soit, le mari appartient à une autre tribu ou une autre communauté. Dans ces deux cas-là, le mari est généralement riche ou puissant – haut fonctionnaire ou notable- et les parents de la fille (généralement jeune) sont complices ».
«La seconde forme plus répandue du mariage secret est moins regardante sur les conditions légales » – poursuit Navaa – « elle se conclut généralement entre une femme, chef de famille (répudiée ou veuve) et un homme libre ou déjà marié – ou entre deux jeunes amoureux. La formalité ici, se fait à la va-vite par le premier venu, sans témoins, ou à postériori pour régulariser une grossesse non désirée».
Tout ceci se passe bien sûr, selon Ould Khattri, dans des formes contractuelles traditionnelles, sans aucune validation par l’Etat civil. C’est au moment des litiges autour des questions de paternité ou d’hérédité que les protagonistes pensent à régulariser leurs statuts civils respectifs.
Lui-même a vécu, au sein de sa famille et sur deux générations des problèmes de reconnaissance sociale et d’hérédité. Son père, fils de l’esclave de son grand-père guerrier, n’avait pas été reconnu par ce dernier de son vivant. Il a été privé de son nom et de son héritage durant toute sa vie. Ce n’est qu’aujourd’hui, que les petits-fils ont eu droit à leur patronyme et leur héritage, après un long combat social et juridique.
Une solution aux frustrations générées par une société hypocrite
« La société maure est une société hypocrite » s’insurge Fatma mint Elkory, militante pour les Droits de la Femme. «Tout est apparence, aucune sincérité, aucune responsabilité. Nous ne sommes pas une société polygame aux yeux des autres, alors qu’ici tout le monde pratique la polygamie à travers le mariage secret. Pour résoudre les problèmes et frustrations générés par une société qui se dit religieuse, conformiste, ses membres pratiquent le mariage secret. »
Fatma explique que le laxisme dans les interprétations et pratiques religieuses, conduit quelque fois à des situations contraires aux valeurs et principes mêmes de la religion musulmane. Finalement, la femme est traitée comme une marchandise, plutôt que comme partenaire sociale et le sens sacré de la famille se retrouve dépouillée par ces opérations mercantiles. Le mariage secret doit rester dans son champ d’applications initiales, c’est-à-dire un outil à usage limité pour garantir l’intégrité morale et sociale des membres de la société, en attendant l’évolution des mentalités.
« Autant, je trouve normal qu’une femme d’un certain âge pratique es-serriya, autant je trouve anormal et déplorable que les jeunes filles la choisissent comme solution à un mode de vie, qui frise la prostitution. » Conclut-elle.
Au nom de l’amour.
Mohamed, 48 ans, directeur d’une banque a été contraint, par amour, d’épouser la fille qu’il aimait au secret. Issu de la caste des forgerons, considérée comme inférieure à celle des guerriers, il ne pouvait prétendre à la main de sa dulcinée devant les hommes.
Malgré sa réussite sociale et sa fonction, il ne pouvait épouser que ses cousines, selon son témoignage. Il déclare que bien que la religion autorise ce mariage, il est inconcevable pour la famille de son amoureuse d’accepter cette union.
Une union qui n’a pas duré, car Mohamed vivait dans une terreur permanente de voir sa bien-aimée trahie et malmenée à cause de lui. Il était persuadé que si ses parents apprenaient leur mariage, ils allaient la tuer. Finalement, il a été contraint, par amour, de se séparer d’elle.
Le mariage secret ne peut pas être une solution
Mariem, 51 ans, a pratiqué le mariage secret pendant prés d’une décennie. « J’ai pratiqué es-seriya pour ne pas finir prostituée, dit-elle, pour me préserver du haram (interdit religieux). Je ne voulais pas assumer les responsabilités du foyer et des enfants : je voulais rester libre ».
Finalement, Mariem s’est sentie plus démunie et plus dans le « péché » qu’avant cette aventure. Le mariage, dit-elle, est un label, une position sociale, des droits et des devoirs. C’est aussi un comportement collectif. La famille ou l’entourage perçoit différemment une femme célibataire et femme mariée : la première est accessible pour tous et la seconde est entourée d’une aura sociale qui la protège, plus ou moins, des convoitises des hommes.
Aussi, elle explique, que financièrement, la générosité des hommes s’arrête après les premiers jours de noces. C’est la pression sociale qui fait que les hommes dans nos sociétés, remplissent certaines obligations matérielles, sans cette pression, ils se dérobent à leurs devoirs.
« Donc, déclare Mariem, es-seriya ne règle ni les problèmes financiers, ni les problèmes affectifs, car tout est éphémère. Passés les premiers moments, les problèmes ressurgissent pires qu’avant ».
Sources :
Navaa Ould Khattry, Inspecteur régional des jeunes en poste à Nouadhibou, sortant de l’ISERI de Nouakchott. Connu dans les milieux des Haratines pour sa connaissance de l’Islam.
Fatma Mint El Kory : webmaster de Maurifemme, vice-présidente de « Genre en action »
Mariem et Mohamed : veulent garder l’anonymat.