La plupart des organisations des droits de l’homme s’intéressent à l’existence de l’esclavage, en tant que pratiques réelles, en Mauritanie. La majorité des défenseurs des droits de l’homme affirment que la pratique existe bel et bien. Elle toucherait une large base de la communauté, et dans toutes ses formes.
Par ailleurs, Boubacar Ould Messaoud, président de «SOS Esclaves», accuse l’Etat de camoufler les esclavagistes. Selon lui, la négation de l’existence de l’esclavage en tant que pratiques est démentie par la réalité.
D’autre part, le gouvernement a créé l’agence «Tadmoune» dans l’objectif de lutter contre les séquelles de l’esclavage. Ainsi, le gouvernement reconnait l’existence de «séquelles d’esclavage qui entravent le développement sociétal». Mais, il nie toute existence d’esclavage à notre époque.
«La Mauritanie a dépensé des Milliards d’ouguiyas sur des plans de lutte contre les séquelles de l’esclavage. L’agence Tadamoun a parcouru tous les coins de la Mauritanie. Elle a construit des dizaines d’écoles et de postes de santé, a distribué des dons sur des projets de développement au profit des victimes de l’esclavage parmi les couches les plus vulnérables de la société mauritanienne» déclare Me Hamdi Ould Mahjoub, Directeur de ladite société, à l’occasion d’une journée évaluative de l’exécution de la Feuille de route pour lutter contre les formes contemporaines de l’esclavage.
En plus de l’agence, l’Etat a mis sur pied une commission interministérielle pour approfondir l’étude de la situation et proposer des solutions radicales aux problèmes juridiques, sociaux et économiques auxquels fait face cette frange de populations. La commission reconnait que l’agence propose juste les premiers soins, en attendant une solution radicale à long terme.
Malgré ces efforts, l’ex-Ministre de la Justice, Sidi Ould Zeine, en réponse à une question de DUNE Voices, refuse de reconnaître qu’il y a des pratiques esclavagistes en Mauritanie. Il reconnaît tout de même qu’il y a des séquelles d’esclavage. Ceux-ci, selon lui, ont des conséquences néfastes sur la vie des citoyens. Notre interlocuteur met en garde que le gouvernement ne tolèrera aucune personne impliquée dans un cas avéré d’esclavage.
DUNE Voices s’est rendu chez Oum El Kheïr, une femme cinquantenaire qui habite dans une modeste case à Tarhil, à l’extrême sud de la ville de Nouakchott. Elle nous a raconté son histoire avec l’esclavage: «J’ai vécu dans un des quartiers du Nord de la Mauritanie, esclave chez une famille qui me torturait et bastonnait avec ou sans raison». Elle ajoute «C’est moi qui m’occupais de leurs cheptels de chèvres depuis ma petite enfance».
Oum El Khaïr est mère de cinq enfants dont elle ne connait pas exactement les pères. Selon elle, la famille qui la réduisait en esclave a refusé de la marier à un homme qui avait demandé sa main. En revanche, poursuit-elle, les fils de la famille esclavagiste la violaient sans cesse et ses 5 fils sont le fruit de ces viols répétitifs. Oum El Kheïr accuse la famille d’infanticide: «la famille m’a obligée une fois d’aller pâturer ses moutons et de laisser derrière moi ma fillette de quelques mois. A mon retour le soir, je l’ai trouvée morte dans le même endroit où je l’ai laissée».
Oum El Kheïr dit que les membres de la famille esclavagiste, dans un souci de s’en débarrasser, l’ont livrée à un cousin à eux qui est un colonel en retraite. Ce serait lorsque la famille a appris que l’Etat, sous le règne de l’ex-Président Sidi Ould Cheikh Abdellahi, incrimine désormais l’esclavage et que les esclavagistes sont exposés aux poursuites judiciaires. Oum El Kheïr ajoute: «Avec ce colonel en retraite, ma vie a connu une autre sorte de misère». Car, poursuit-elle, «il a violé à plusieurs reprises et devant mes yeux ma fille ainée». Après des années de «torture et esclavage» le frère de Oum El Kheïr aurait soulevé son cas à des organisations de défense des droits de l’homme. Celles-ci l’auraient libérée de sa situation.
Oum El Kheïr appelle l’Etat à la réparer. Elle demande à ce que la famille esclavagiste réponde à ses actes.
Pour prendre l’avis de l’autre partie, nous avons essayé de joindre le colonel en retraite. Sa fille dit que la famille ne commente pas ces propos. Elle nie que sa famille ait connaissance d’Oum El Kheïr. Elle considère que toute cette affaire a pour seul objectif de viser la famille et nuire à l’image de son père. Selon elle, la famille a pris la décision de ne plus commenter ce genre d’informations.
Joumaa, membre de l’ONG «SOS Esclaves» et responsable direct de la poursuite des conditions des vies de ces victimes, dit que le gouvernement a octroyé un terrain à Oum El Kheïr et s’est engagé à lui construire une maison. Le même traitement a été accordé à des cas similaires.
Non loin d’Oum EL Kheïr, loge Chadda Mint Mboïrik, une femme quarantenaire qui aurait fui l’esclavage dans un quartier lointain de la wilaya de Tiris Zemour. Son frère serait le libérateur de la famille. Il aurait été le premier à fuir, et ce avant 10 ans. Il n’a cessé de lutter jusqu’à la libération de sa sœur Chadda et ses enfants qui croupiraient, eux aussi, en esclavage, selon elle.
Chadda déclare: «moi, ma mère et mes enfants étions victimes de la torture exercée par une personne qui nous prenait pour esclaves, et ce malgré que nous le servions par des actions dures». «Nous exigeons que ceux qui nous ont fait tort rendent compte de leurs actes» a-t-elle poursuit.
Ces cas, et d’autres encore, ont fait l’objet de plaintes déposées devant la justice contre les esclavagistes. Mais la justice n’en a pas statué, selon le président de SOS Esclaves, Boubacar Ould Messaoud. Selon lui «parmi des dizaines de cas transmis devant la justice, un seul cas a été statué au profit de la victime, bien que nous ayons des réserves sur le niveau de la sanction par rapport à l’ampleur du crime. En plus, ce verdict a été possible parce que la personne inculpée ne jouissait pas d’un poids social important, ce qui l’a rendu plus comptable de ses actes».
Ould Messaoud affirme: «Si la commission n’avait pas suivi l’application du verdict, l’accusé n’aurait pas été inquiété».
L’avocat de l’ONG, Me El Aïd Ould Mohamed, déclare qu’une seule personne, parmi des dizaines de soupçonnées, a été condamnée depuis l’adoption en 2007 d’une loi incriminant l’esclavage.
En 2011, ajoute-t-il, des accusés ont été condamnés, mais leurs peines étaient sans sursis.
L’avocat s’exclame du fait qu’il n’y a en Mauritanie aucun esclavagiste détenu, pendant que la pratique existe bel et bien.
En ce qui concerne l’histoire d’Oum El Kheïr, Me El Aïd Ould Mohamed déclare: «En 2010 j’ai présenté une requête au Procureur de la République d’Atar. Je me suis rendu plusieurs fois à Atar dans l’objectif de le convaincre de faire suite à notre requête, mais en vain; car, il n’y a aucune nouvelle dans ce domaine. Et je pense que ceci constitue une violation aux textes juridiques qui exigent qu’une décision soit prise en ce qui concerne cette affaire».
Quant à l’affaire de Chadda et son frère, l’avocat précise que le Procureur de la République à Zouératt a arrêté les présumés esclavagistes pendant quelques jours avant de les libérer. Depuis lors, l’affaire serait en stand-by.
L’Assemblée nationale mauritanienne a adopté, le 12 août 2015, une nouvelle loi abrogeant et remplaçant la loi de septembre 2007 incriminant l’esclavage. Le gouvernement considère que la nouvelle loi est nécessaire pour être harmonieux avec les nouveaux amendements de la Constitution. Ces amendements classent l’esclavage et les pratiques esclavagistes comme «crime contre l’Humanité».
La nouvelle loi ajoute trois éléments essentiels, selon l’ex-Ministre de la Justice: d’abord, elle lève au rang de crime contre l’Humanité la pratique d’esclavage, ensuite elle durcit les sanctions, et puis elle crée dans toutes les wilayas de nouvelles juridictions compétentes exclusivement dans les pratiques esclavagistes.
En réaction, le Président de SOS Esclaves, Boubacar Ould Messaoud, a exprimé sa satisfaction quant à la nouvelle loi. Cependant, il accuse la justice de ne pas appliquer les textes en vigueur. Il appelle à la réforme de la justice avant toute promulgation de loi. Car, selon lui, l’appareil judiciaire est complice avec les féodaux et esclavagistes, faisant fi des lois de la République.