« Je n’enverrai pas mes enfants dans une école distante de mon lieu de travail. Je préfère mille fois les avoir avec moi ou les envoyer dans une Mahadra (école coranique) que de les exposer à la délinquance et aux multiples dangers ».
Le désespoir qui se lit sur le visage de Najia est celui de nombreux parents d’élèves qui redoutent que l’avenir de leurs enfants soit compromis par une décision à laquelle ils n’ont été associés ni de loin ni de prêt.
En effet 336 élèves mauritaniens risquent de voir cette année leur scolarité fortement perturbée faute de structures d’accueil. La mise en vente des écoles publiques à Nouakchott, notamment l’école 6, l’école Justice et l’école marché, expose leurs élèves, issus majoritairement des couches sociales défavorisées, à un risque d’abandon scolaire massif.
La décision de mise en vente de ces édifices publics fixée pour le 1er octobre a été prise en conseil des ministres en date du 09 juillet 2015. Cette décision intervient après la mise en vente d’un premier lot d’écoles et places publiques qui a rapporté à l’état mauritanien 7 milliards d’ouguiyas (environ 22 millions de dollars) selon une source proche du ministère mauritanien des finances.
Les pouvoirs publics justifient la mise en vente de ces écoles par les risques permanents d’agression, de violence et de pollution sonore, inhérents au voisinage des marchés. Ces écoles qui comptent parmi les plus anciennes à Nouakchott se trouvent en effet aux abords des marchés, si elles ne sont pas ceinturées de part et d’autre par des échoppes, des ateliers de couture, de garages mécaniques etc.
Enfants de gardiens d’immeubles, de charretiers, de dockers et autres enfants de manœuvres qui fréquentaient ces écoles jusqu’à la fin de l’année scolaire passée ne peuvent se payer le luxe de continuer leur scolarité dans le privé faute de moyen. La solution de transfert proposée par les pouvoirs publics afin de les recaser dans d’autres écoles ne satisfait pas non plus leurs parents.
Pour El Mamy Ould Ahmed Jekany, président de l’Association des parents d’élèves de Tevragh Zeina, ce transfert va, non seulement occasionner des dépenses supplémentaires en frais de transport quotidien des élèves, mais va poser également un sérieux problème de pléthore dans les classes considérée comme l’une des principales causes de l’échec scolaire en Mauritanie.
Mieux, El Mamy ne comprend pas pourquoi l’Etat procède-t-il à la vente des écoles publiques alors que les parents d’élèves réclament à cor et à cri que de nouvelles écoles soient construites pour permettre de faire face à la demande de scolarisation de plus en plus croissante.
Sur l’envahissement des écoles par la pollution sonore et les risques d’agression dus aux abords des marchés, El Mamy pense que l’Etat devait plutôt procéder au déménagement des marchés que de mettre en jeu l’avenir des enfants. « Dans ce pays seuls ceux qui ont des sous sont dignes de respect. Récemment, l’Etat a échoué à faire déménager le marché central qui se trouve pourtant dans un état de délabrement très avancé. Les commerçants lui ont tenu tête et finalement ils ont eu gain de cause. Il est plus facile dans ce pays de se débarrasser d’une école malgré ce qu’elle symbolise que de faire déménager un marché » devait-il indiquer.
Même son de cloche pour Oumar Gueye, directeur de l’école justice : « Je pense que la vente de ces écoles pose plus de problème qu’il n’en règle. Lundi dernier une réunion a été tenue dans le bureau de la Directrice régionale de l’Education à laquelle j’ai assisté en présence des parents d’élèves de l’école 6. Ces derniers ont été unanimes à dire que la décision du transfert de leurs enfants vers d’autres écoles situées à plus de 5 km est mal inspirée. Mon avis est qu’ils ont parfaitement raison de s’inquiéter pour leurs enfants vu la recrudescence des actes de violence et l’insécurité ambiante qui règne à Nouakchott».
Oumar déplore également que lui et son personnel, soient mis en chômage technique en attendant de leur trouver des points de chute forcement dans des quartiers périphériques loin de leurs lieux d’habitation.
L’obligation de l’enseignement fondamental pour les enfants âgés de 6 à 16 ans (au maximum) est consacrée par la loi n° 054-2001. L’Etat mauritanien serait-il tenté d’aller à l’encontre de cette disposition en prenant une décision qui met en jeu l’avenir de ses propres enfants ? Les raisons invoquées pour la mise en vente des trois écoles susmentionnées sont elles suffisantes vu le préjudice qui pourrait découler de cette vente ? Telles sont entre autres failles juridiques qui pourraient être invoquées selon l’avis de ce juriste ayant requis l’anonymat.
Toujours est-il que malgré le levé de bouclier des parents d’élèves l’Etat mauritanien continue imperturbablement à mettre en application la décision de vente des trois écoles dont la date fixée dans un premier temps le jeudi 1er octobre 2015 a été reportée pour des raisons liées à « la modification de certaines dispositions relatives aux conditions et aux délais » selon le ministère mauritanien des finances.