« J’ai été à l’école à l’âge de huit ans, après avoir appris un peu de coran pour faire mes prières. Notre instituteur était souvent absent pendant des semaines. Il venait de Nouakchott et sa famille était là-bas. Donc, il voyageait souvent et du coup l’école était fermée. Il était notre seul instituteur pour les trois classes qui existaient» se souvient Yemama.
« Aujourd’hui, dit-elle, l’école a deux enseignants et six classes. Ils enseignent par groupes de demi-journée : les petites classes les matinées et les classes moyennes les après-midi. Mais je suis inquiète pour mes enfants : après la fin de ce cycle primaire, je serai obligée de me séparer du garçon s’il doit continuer sa scolarité au collège, mais pour ma fille cela ne sera pas possible. Je ne peux pas l’envoyer et moi je ne peux pas aller en ville, ma mère est vieille et a besoin de moi. »
Fatimetou, vendeuse de couscous, habite dans le chantier d’une maison en construction à Tevragh Zeina, un quartier chic de Nouakchott. Son mari travaille comme gardien du chantier. Ses enfants (des garçons de 15 ans, 13 ans et 09 ans) ne vont pas à l’école et elle-même ne sait ni lire ni écrire.
« J’ai grandi dans un campement au nord du pays et petite j’aidais dans les travaux domestiques et la corvée de l’eau. Puis, je me suis mariée et j’ai suivi mon mari en ville. Je n’ai pas envoyé mes enfants à l’école, parce que nous déménageons souvent, à cause du travail de mon mari. Son patron l’envoie surveiller ses chantiers dans différents endroits de la capitale et nous changeons souvent de quartiers. En plus, le salaire mensuel de 30.000 UM (environ 100 Euros) de mon mari ne suffit pas à nous nourrir et les enfants doivent travailler pour nous aider » déclare Fatimetou. « Ils enlèvent les ordures ménagères des domiciles sur leur charrette. Ils font aussi les kawlabas (recycleurs) des poubelles. Parfois, ils gagnent près de 3.000 UM (environ sept euros) en une journée. »
« De plus s’ils devaient aller à l’école, ce serait à l’école publique où ils passeraient la journée à traîner et à ne rien faire et deviendront des voyous et des fainéants. Les enseignants sont souvent absents des classes, car ils préfèrent enseigner dans les écoles privées, et nous nous n’avons pas l’argent nécessaire pour les envoyer dans une vraie école.»
Les cas de Yemama et de Fatimetou sont typiques des cas de trois femmes sur cinq en Mauritanie, selon les données de l’institut des Statistiques de l’UNESCO (ISU).
Obstacles socio-économiques :
« En plus des difficultés d’accès à l’école et l’indisponibilité des enfants sollicités pour le travail productif et rémunérateur (comme la garde des petits animaux, la culture ou la cueillette chez les ruraux ou les petits travaux chez les sédentaires), s’ajoutent d’autres obstacles d’ordres culturels » selon le socio-économiste Mohamed Vall Ould Bah.
«L’accès à l’alphabétisation dans les sociétés traditionnelles est régi par des règles fortement inégalitaires avec une quasi-exclusion des femmes.» explique-t-il, « Chez les maures, par exemple, l’accès à la mahadhra (école traditionnelle) est généralement limité à certaines couches sociales. D’autres couches (H’ratin (anciens esclaves), aznaga (éleveurs nomades), m’allmin (forgerons), iggawen ou griots) en sont pratiquement exclues et les couches guerrières (hassan) fréquentent très peu les mahadhra. Les halpullar ont aussi des schémas d’accès voisins : les torobbé (lettrés) sont les seuls à avoir plein accès à l’alphabétisation.»
Selon Mariem Mint Baba Ahmed, anthropologue, l’analphabétisme existe aujourd’hui dans tous les milieux.
« Le problème de l’alphabétisation en Mauritanie ne se laisse pas facilement cerner. Il existe un analphabétisme visible et un autre plus sournois, moins visible. J’ai, par exemple, découvert fortuitement que des femmes pourtant savantes et érudites (du milieu zawaya) ne savaient ni lire, ni écrire. Elles ont appris à acquérir le savoir par une méthode de mémorisation visuelle des textes classiques religieux et littéraires.
« Par contre, d’autres qui ont appris jeunes, à lire et à écrire, sont devenus analphabètes, faute d’application de leurs minces acquisitions initiales. C’est le cas des nomades (aznaga, nmadis) et des populations des adwabas (villages h’ratines), qui ont un peu fréquenté l’école moderne ou traditionnelle, et dont l’environnement est dépourvu de tout ouvrage écrit.»
Obstacles institutionnels :
Béchir, 53 ans, est laveur de voitures devant le siège d’une société minière à Nouakchott.
« Je suis né dans un village au bord du fleuve et je n’ai pas fait l’école dans mon enfance. Adulte, j’ai fréquenté une classe d’alphabétisation en 2004 dans le quartier de Riad à Nouakchott, pendant quelques mois. J’ai à peine appris à lire et à écrire que les classes ont été fermées par l’Etat, après le coup d’état de 2005. Mais cela m’a été utile, j’essaye de lire les étiquettes des produits à la boutique, les affiches dans la rue et je peux calculer mes recettes journalières. Mais quand je vois tous ces jeunes chômeurs qui ont fait de grandes études, venir tous les jours faire la queue devant cette société, je me dis que leurs études ne leur ont pas servi à grand-chose et je n’ai pas de regrets. Moi je nourris ma famille, eux pas. »
Le Ministère des Affaires Economiques et du développement, dans son dernier rapport national sur la mise en œuvre du plan d’action de la conférence internationale sur la population et le développement publié en 2012, observe un taux d’alphabétisation en 2008 de 73,3% en milieu urbain contre 50,3% en milieu rural. Soit une baisse par rapport au taux de 75% enregistré en 2000 en milieu urbain et une amélioration en milieu rural qui enregistrait 45% en 2000.
L’écart du taux d’alphabétisation entre les sexes est toujours aussi remarquable avec un taux d’alphabétisation beaucoup plus élevé chez les hommes comparés aux femmes avec 70,3% contre 54,4% en 2008, ce qui donne un écart significatif de 15,9 points.
Une situation expliquée dans le même rapport par la faiblesse des moyens attribués au programme d’alphabétisation, par l’insuffisance des ressources humaines qualifiées au niveau de la Direction chargée de l’alphabétisation et par l’instabilité de l’ancrage institutionnel de cette dernière.