En effet, sur l’ensemble du territoire mauritanien, il n’existe que deux écoles primaires situées dans la capitale Nouakchott, en plus d’un petit centre local destiné aux malentendants dans le gouvernorat de Courcol. Aucun collège ni lycée qui donneraient à ces personnes aux besoins spécifiques la possibilité de poursuivre leurs études et d’obtenir des diplômes qui leur permettraient de participer à des concours nationaux et d’obtenir des postes de travail.
Impasse à l’horizon
H.M., qui est une jeune malentendante nous confie : « Quand j’ai commencé à fréquenter l’école primaire du Forum Mauritanien des Sourds, j’ai été confrontée à beaucoup de problèmes dont l’inadaptation aux autres élèves sourds, ainsi que la déficience des instituteurs qualifiés. J’ai toutefois vite pu m’acclimater à ces conditions improvisées, dans la mesure où l’école était devenue pour moi un cocon où, tous les jours, je rencontre des amis qui me ressemblent et où nous communiquons et discutons de nos problèmes ».
Evoquant des difficultés d’ordre logistique ainsi que le problème des perspectives scolaires, la jeune fille ajoute : « Beaucoup de malentendants arrivent en retard aux cours, étant donnée la difficulté d’accès aux moyens de transport, ainsi que le fait que de nombreux chauffeurs soient complètement ignorants des techniques de communication avec les sourds et incapables même d’empathie envers eux. Mais nonobstant tous ces obstacles et ces difficultés nombreuses, j’ai pu acquérir beaucoup de connaissances avant de me retrouver obligée de quitter l’école en fin de cycle primaire. Je n’ai pas trouvé de collège spécialisé dans l’enseignement des malentendants mais je compte retourner à l’école primaire pour y travailler comme assistante auprès des élèves sourds ».
L’esprit d’initiative pour lutter contre l’isolement
Etant donnée l’absence de perspectives et de solutions radicales pour faire changer la situation actuelle, de nombreux sourds prennent eux-mêmes l’initiative de chercher de l’emploi et d’apprendre quelques savoir-faire ou métiers qui leur éviteraient de dépendre des autres et leur permettraient de sortir de l’isolement.
Th.A. affirme à ce propos : « J’ai fini mes études primaires en 2012 à l’école du Forum Mauritanien des Sourds. Avec une infrastructure inadaptée pour que les personnes comme moi poursuivent leurs études, je me suis retrouvée à la maison. L’enseignement spécialisé des malentendants se limite ici au jardin d’enfant et au niveau primaire, ce qui revient à stopper net les perspectives devant eux. Ils n’ont plus alors qu’à rester chez eux ou faire du travail manuel. Moi, par exemple, je travaille comme coiffeuse dans un salon de soins esthétiques pour dames. Mais c’est une opportunité rare qui ne s’offre pas à tous les malentendants qui se retrouvent isolés dans la société, sans aucun moyen de communication avec les autres, puisque la plupart ici ignorent le langage des signes ».
Les instances travaillant dans le domaine : « Nos efforts sont continus car les sourds méritent un plus grand soutien »
Mohamed Habib Allah Moussa, président du Forum Mauritanien des Sourds, affirme : « Selon les dernières statistiques officielles, non exhaustives, réalisées entre 2013 et 2014, le nombre de personnes sourdes en Mauritanie s’élève à 8000 mais nous pensons au Forum que le nombre réel dépasserait les 50000. De même, et bien qu’il n’y ait pas de chiffres précis, les taux de scolarisation sont au plus bas et la plupart des malentendants adultes sont non instruits. Nous nous retrouvons face à un défi de taille qui exige que les efforts des uns et des autres soient multipliés pour venir en aide aux malentendants et pour que la situation ne devienne pas plus complexe ».
Le président du Forum considère par ailleurs que l’une des causes les plus importantes du faible taux de scolarisation chez les personnes sourdes est que ces derniers naissent dans un environnement hostile. La société, pense-t-il, renie les personnes handicapées, en particulier les sourds qu’on place en quarantaine, dont on refoule les handicaps et qu’on n’envoie pas à l’école.
Parmi les raisons aussi, toujours selon la même source, l’absence de centres spécialisés dans les appareils auditifs et l’orthophonie, l’absence de diagnostiques précoces pouvant déterminer les personnes atteintes de surdité afin qu’elles soient traitées rapidement, ainsi que l’absence d’experts mauritaniens en orthophonie.
Mohamed Habib Allah Moussa ajoute enfin : « Nous faisons de grands efforts mais la réalité des choses nécessite la contribution de tous, étant donnés les spécificités nombreuses des besoins des personnes sourdes. Actuellement nous leur offrons un enseignement gratuit et entièrement sans frais, de même que nous étudions le projet de création d’un collège où ils pourront poursuivre leurs études. Car nous avons remarqué que beaucoup de malentendants ayant fini avec succès leur sixième année d’enseignement primaire, retournent, faute de toute autre alternative, vers la rue ou à la maison et retombent dans l’isolement».
L’absence de collèges et de lycées prive les malentendants des concours nationaux
Selon le Forum Mauritanien des Sourds, le fait que les malentendants ne soient pas détenteurs de diplômes de l’enseignement supérieur a eu pour conséquence qu’ils n’ont pas pu bénéficier d’une loi récemment votée et stipulant que chaque recrutement au sein de la fonction publique doit réserver une marge de 5% aux personnes handicapées.
Concernant les subventions étatiques, le président du Forum assure que « l’Etat fait certes de son mieux pour nous fournir une aide annuelle. Il nous a envoyé des instituteurs de l’enseignement public pour assurer des cours dans nos établissements, de même qu’il nous a octroyé un lot de terrain constructible dans le quartier de "Melh" qui, bâti, nous épargnerait de payer des loyers onéreux. Cependant, tous ces efforts demeurent insuffisants et nous avons besoin de beaucoup plus, aussi bien de la part de l’Etat que de la part des amis des malentendants ».
Aâl Echeikh Weld Bidih, 36 ans, est un instituteur sourd qui occupe également la fonction de secrétaire général du Forum Mauritanien des Sourds. Il nous fait part de son expérience : « Beaucoup de malentendants mauritaniens habitent dans des régions reculées, vivent éloignés de leurs semblables des autres régions et ne disposent ni d’un espace commun ni d’une corporation pour se réunir… A son ouverture, en pleine capitale, en 2010, le Forum a été pour eux un lieu de rencontre et de contact, ce qui fut une première du genre. De même, un pont était jeté entre, d’une part, les malentendants et, d’autre part, la presse et les organisations de la société civile. C’est ce qui a permis de faire connaître leur cause à l’opinion publique et d’ouvrir la voie aux subventions et aux bénévoles. Tous les ans d’ailleurs, nous organisons la semaine nationale des malentendants afin de poser les problèmes et de faire connaître au public les talents des personnes sourdes ».
Pour ce qui est de la réalité de l’enseignement dédié aux personnes sourdes, Weld Bidih explique : « Le personnel enseignant manque énormément de connaissances sur les particularités des malentendants et sur les méthodes didactiques adaptées à leur handicap. Nous avons également des difficultés liées à l’infrastructure scolaire et à l’absence de documents, de moyens et d’outils pédagogiques. Par ailleurs, la plupart des enseignants perçoivent des salaires très bas qui, de surcroît, arrivent souvent en retard. Il est vrai que la majorité des élèves souhaitent poursuivre leurs études jusqu’au baccalauréat mais les conditions réelles ne leurs sont pas favorables, d’autant plus qu’ils sont très pauvres et qu’ils manquent de soutien ».
Des familles de malentendants apprennent le langage des signes pour sortir leurs proches de la solitude
Aysallem Yahfedh est un jeune trentenaire qui a décidé d’apprendre le langage des signes pour pouvoir communiquer avec ses trois sœurs sourdes. Il confie : « J’ai grandi au milieu de personnes malentendantes, puisque mes trois sœurs sont sourdes. Petit à petit, je me suis passionné pour leur monde et je me suis mis à m’exprimer en gesticulant de la main comme elles. J’ai décidé par la suite d’apprendre l’abécédaire de leur langage et je suis devenu traducteur. Cela m’a beaucoup aidé à soutenir mes sœurs, à les sortir de l’isolement et à leur éviter les obstacles et les problèmes, en les accompagnants dans leurs déplacements quotidiens qui leurs posaient des difficultés insurmontables avec les transporteurs et avec les gens. J’appelle donc tout le monde à apprendre le langage des signes afin de pouvoir communiquer avec les personnes sourdes et leur venir en aide ».