Mint Souweilik habite à Wad El Barka, une localité située à 50 km au Sud –Est de Tidjikja (capitale régionale du Tagant). Ici l’eau est quasi inexistante, aucune unité de santé de base et l’unique salle de classe qui tient lieu d’école est située à sept kilomètres.
Non loin de Wad El Barka, Messaouda se réveille chaque matin à 5 heures pour parcourir plus de 15 km aller-retour afin de s’approvisionner en eau potable. Elle habite à Nouar dans un total dénuement. Les deux enfants de Messaouda qui grelottent de froid sous un hangar de fortune, présentent des signes très avancés de malnutrition.
« Je vis avec la famille Ehel Saka de la tribu des Ewlad Ghaylane. Je m’occupe quotidiennement de la corvée d’eau. J’étais moins fatiguée lorsque les autres membres de ma famille étaient là. On se partageait la tâche. Mais il y a quelques années ma tante Selekha Mint Ahmed Ould Abeyd et ses enfants sont partis en compagnie de Birame Ould Dah Ould Abeid venu à Nouar pour les amener avec lui à Nouakchott. J’étais absente au moment des faits », déclare Messaouda, les traits physiques marqués par le dur labeur d’un quotidien implacable.
En effet, Messaouda est la nièce de Selekha Mint Ahmed Ould Abeyd une ancienne esclave qui vivait à Nouar sous le joug de la famille Ehel Saka et dont la libération par Birame Ould Dah Ould Abeid militant des droits de l’homme et président d’IRA, un mouvement abolitionniste, avait défrayé la chronique en 2006.
Mbarka est de la localité de Vrea Ekitane dans la zone appelée Lowdiyé qui abrite plus d’une dizaine d’adweba (villages peuplés par d’anciens esclaves).
Elle et sa maman font quotidiennement la corvée d’eau et du bois de chauffe. Grâce à leur charrette, elles font partie des rares privilégiées qui, contrairement aux autres femmes de la localité, parviennent à se procurer de l’eau quotidiennement.
« L’eau est notre principal souci. Nous passons toute la journée à en chercher. S’il y a une doléance qui nous tient vraiment à cœur, c’est celle de voir un jour notre localité équipée d’un sondage » soutient Mbarka.
Même souci pour Aminetou Mint Isselmou, 28 ans, qui habite à Vrea Ejerk. Elle a failli perdre la vie en donnant naissance à un enfant mort-né. Primipare, Aminetou n’a subi aucune visite prénatale pendant toute la durée de sa grossesse faute de structure sanitaire de proximité.
Selon le dernier recensement général de la population et de l’habitat de 2013, en Mauritanie les femmes représentent 52 % d’une population totale chiffrée à un peu plus de trois millions d’habitants. La grande majorité de ces femmes vivent en milieu rural sous le seuil de la pauvreté.
Mariem, Messaouda, MBarka et Aminetou qui habitent au Tagant ont en commun d’appartenir à cette frange sociale victime des affres de la pauvreté, la maladie et l’analphabétisme. En effet, sur une population de 80 962 habitants, les femmes représentent dans cette région 42 841 dont 32175 en milieu rural, et ne bénéficiant point d’assistance pour faire face aux difficultés de la vie, comme m’affirment plusieurs représentants d’ONG.
Tislism Mint Dieha, Présidente de l’Association mauritanienne pour l’Assistance et le développement et coordinatrice régionale du Réseau EMEL- Tagant ( un réseau de 19 ONG qui opèrent au Tagant) pense que les pouvoirs publics n’accordent pas assez d’attention aux femmes rurales. Selon elle, les politiques mises en œuvre par ces pouvoirs publics pour la prise en charge et l’intégration des couches sociales vulnérables n’inscrivent pas ces femmes marginales au cœur de leurs préoccupations.
Elle considère que le ministère des Affaires sociale, de l’Enfance et de la Femme n’intervient que timidement à travers des actions de sensibilisation très limitées portant d’habitude sur la lutte contre les mutilations génitales féminines et des interventions très ciblées de financement de coopératives féminines qui ne profitent, le plus souvent, qu’aux « coopératives-cartables », dirigées par des femmes à l’abris de tout besoin.
Selon Mint Dieha la dernière intervention du ministère, qui date d’il y a deux ans a consisté à accorder de manière très sélective des prêts d’un montant de 500.000 Ouguiyas (1.500 Euros) par coopérative féminine. Parmi les vingt-cinq coopératives sélectionnées aucune, selon elle, ne réside en milieu rural. Ce sont des coopératives présidées par des femmes affiliées au parti au pouvoir (UPR) où celles qui font allégeance aux barons locaux proches de ce parti.
« Je suis persuadée que les femmes rurales ne sont pas visées par cette intervention parce que, non seulement elles ne sont pas suffisamment outillées pour pouvoir créer des coopératives et monter des projets, mieux, elles sont, la plupart des cas, remorquées par d’autres femmes, rabatteuses, qui parlent en leur nom et se servent à leur place » indique-t-elle.
Mint Dieha pense également que l’agence Tedamoun (تضامن), financée à hauteur de 4 milliards d’ouguiya annuellement, devrait s’intéresser aux femmes rurales, si son objectif est de lutter contre les séquelles de l’esclavage et l’intégration des couches marginales. Mais aucune intervention ciblée visant ce groupe social n’a eu lieu depuis la création de cette agence en 2013, fait-elle remarquer.
« Le Directeur de l’agence est venu à plusieurs reprises au Tagant, il a visité de nombreuses fois la Moughataa de Moudjeria mais c’est pour des inaugurations d’écoles ou des postes de santé dans des localités où le besoin ne se fait pas sentir. Ne pas ériger ces infrastructures de base dans des zones comme Lowdiyé, les deux versants de la zone de Tamourt Enaj, peuplés de populations pauvres et analphabètes, c’est se tromper de priorité. Dans tous les cas, la pauvreté, l’ignorance et les maladies continuent à se propager et à gagner du terrain. Tedamoun doit revoir sa copie pour donner plus de consistance à son action » devait-elle dire.
Hamoud Ould Saleck professeur d’arabe au Lycée de Nimlane et représentant régional de SOS Esclave (نجدة العبيد ), mouvement abolitionniste présidé par Boubacar Ould Messaoud, est du même avis que mint Diéha. « De nombreuses femmes rurales vivent dans un calvaire, faute d’assistance de la part de l’Etat. La plupart sont victimes des séquelles de l’esclavage : pauvreté et analphabétisme. il suffit de voir le niveau de plus en plus croissant des décès maternels lors des accouchements, les maladies enfantines qui s’accroissent et se propagent, année après année, faute de prévention, en plus de la pauvreté qui gagne du terrain, pour se rendre compte de l’extrême précarité vécue par ces femmes dans le milieu rural » poursuit-il.
Par ailleurs, Hamoud précise que ces femmes sont également sous le coup de certaines pratiques avilissantes et qu’elles font régulièrement l’objet de violences sexuelles dans une quasi-impunité. « Le viol est un sérieux problème dans le monde rural. Pas plus tard que la semaine passée, j’ai reçu la plainte d’une jeune femme, victime de viol, qui habite à Nouadar, dans les environs de Tidjikja. Je l’ai accompagnée chez le procureur de la République auprès du tribunal de la région et le coupable a été condamné à une peine et un dédommagement », raconte-t-il.
Mais, reprend Hamoud, ce n’est pas toujours le cas. Un autre viol qui s’est produit le mois dernier à Eghlembit, s’est plutôt soldé par un arrangement entre les parents de la fille et ceux du violeur malgré la plainte déposée par la victime. Et il y a plein de femmes et de jeunes filles violées, qui ne se plaignent pas de peur de nuire à l’honneur de leurs familles. « Ici la femme rurale est exposée à tous les dangers du fait de l’ignorance et la pauvreté», conclut Hamoud.