Certains sont engloutis par les océans et d’autres sont pris dans les filets des gardes-côtes ; très peu ont la chance d’atteindre les rives de l’Eden tant recherché.
Il existe cependant un paradoxe qui consiste dans le fait que d’autres jeunes, quelque part dans le monde, rêvent d’une autre destination : la jungle de l’Afrique noire. Ce paradoxe est un phénomène mauritanien par excellence…
Mohamed Boukhari est un jeune trentenaire qui, en 2010, a traversé une rude épreuve pour parvenir en Angola. Après avoir longtemps subi les affres de la misère dans son pays, ce diplômé de la Faculté des Sciences Economiques a fini par écouter le conseil de son ami qui avait tôt abandonné ses études pour partir travailler en Angola avant de rentrer au bout de quatre ans avec une fortune colossale.
« Etant donné qu’il n’existe pas de services consulaires entre notre pays et l’Angola, obtenir un visa devient très difficile et suit le cours des marchandages des trafiquants pour atteindre parfois un million d’ouguiyas. N’ayant pas la somme nécessaire pour avoir ce visa, j’ai décidé de partir vers la Gambie à travers le Sénégal et de chercher à partir de là la route qui me mènerait vers l’Angola », raconte Mohamed.
Selon le porte-parole de la communauté mauritanienne en Angola, Abdallah Ouelt Sidi Ibrahim, la plupart des émigrés vivent dans un état d’alerte continue parce que, dit-il, « dans ce pays dont les bandes de truands autorisent le meurtre des étrangers et, faute d’une autorité qui les protège comme ils disent, ils vivent avec la peur au ventre. Beaucoup d’histoires circulent au sujet d’incidents qui surviennent tous les ans et où de jeunes Mauritaniens sont assassinés par des brigands angolais sans aucune autre forme de procès contre les criminels que d’entendre rapporter l’événement à l’infini ».
« A une échelle officielle également, et pas plus tôt que l’année dernière, les Mauritaniens ont été victimes de nombreux harcèlements de la part du régime angolais de même qu’ils ont fait l’objet de plusieurs vagues d’arrestations et que l’argent ainsi que les papiers de plusieurs d’entre eux ont été confisqués. », ajoute Ouelt Sidi Ibrahim. C’est ce qui avait d’ailleurs fait monter la colère dans la rue mauritanienne qui a manifesté contre ces agissements en appelant l’état à mettre en application son protocole diplomatique aussitôt qu’il sera élu à la tête de l’union africaine, afin de protéger les citoyens mauritaniens émigrés en Angola.
Au début de l’année 2013, l’état mauritanien a nommé un ambassadeur en Angola et bien qu’une longue période se soit écoulée depuis cette décision, l’ouverture d’une ambassade effective dans ce pays tarde à être annoncée. Parallèlement à cela, le président Ouelt Abdelaziz a bien reçu, le 11 mars 2015, les lettres de créances d’un ambassadeur angolais à Nouakchott, sans que pour autant une ambassade angolaise soit ouverte dans la capitale mauritanienne. Cette information a été et rendue publique par une dépêche de l’Agence Mauritanienne de Presse faisant état de pourparlers s’étant déroulés entre le président de la république et l’ambassadeur au sujet de la communauté mauritanienne vivant en Angola.
Loin des calculs politiques, El Hadj Mohamed Omar est l’un des émigrés rapatriés de Côte d’Ivoire. A 53 ans et avec des dizaines de familles qui se rassemblent devant le palais présidentiel, il lève un slogan exigeant que le Président de la république tienne la promesse qu’il avait faite à ces émigrés, rentrés après avoir souffert le martyre dans ce pays où ils avaient vécu pendant des décennies. En effet, raconte El Hadj Mohamed Omar, suite aux persécutions et violences qu’ils ont subies à cause de la guerre survenue en Côte d’Ivoire, des familles entières qui avaient choisi de s’expatrier pour s’installer dans ce pays et travailler dans le commerce se sont vues obligées de quitter leurs maisons et d’abandonner les biens qu’ils avaient passé leurs vies à acquérir.
L’affaire avait commencé après ce que l’on a appelé « la crise ivoirienne », survenue à la suite des élections présidentielles de 2010. Ce qui s’en était suivi de violences civiles en Côte d’Ivoire avait poussé les étrangers à fuir le pays embrasé. Selon des statistiques réalisées par le Ministère de l’Intérieur Mauritanien, près de 432 citoyens mauritaniens sont arrivés à Nouakchott en 2011, à travers un pont aérien spécialement ouvert par le gouvernement pour les évacuer.
Le représentant des émigrés rapatriés de Côte d’Ivoire, M. Mohamed Ouelt Khatri trouve que « l’émigration vers des pays politiquement instables est une prise de risque en soi ». Il assure par ailleurs qu’en Afrique, « la situation politique actuelle et les régimes en place ne disposent des atouts nécessaires pour établir la stabilité à cause de l’absence totale de mécanismes démocratiques permettant une transmission pacifique du pouvoir. C’est ce qui rend ces régimes vulnérables et les expose à tout moment à des soubresauts sécuritaires que les émigrés payent excessivement cher, comme c’était le cas en Côte d’Ivoire après la crise de 2010 ».
Ahmed Echikh est un jeune de vingt ans qui a, lui aussi, vécu l’expérience de l’émigration vers l’Angola. Il nous en fait part en disant : « Nous sommes partis en Afrique afin d’assurer notre avenir en travaillant dans le commerce ou en explorant la terre à la recherche de pierres précieuses. C’est d’ailleurs le moyen le plus facile de s’enrichir rapidement, même si cette activité est extrêmement risquée. Cependant, nous nous sommes heurtés à des conditions très difficiles qui nous imposent de payer une rançon pour racheter notre sécurité».
« Les salaires sont désormais très bas et on est très souvent entouré de toutes sortes de dangers. Le voyage est très pénible, Rien ne protège les étrangers et très souvent les jeunes se retrouvent en proie au racket et aux braquages », ajoute Ahmed.
Ayant expérimenté les conditions de l’émigration, le journaliste Othmane Abdeljelil nous fait partager le résultat de ses investigations : « J’ai contacté un des responsables de la communauté mauritanienne en Angola. Il m’a renvoyé vers une agence de voyages qui se trouve au marché central de Nouakchott et dont les dirigeants m’ont demandé de payer la somme de 2000 dollars avant de me livrer un faux visa. Sur les frontières, j’ai été de nouveau arrêté et contraint à payer une autre somme pour pouvoir entrer en Angola ».
Les dirigeants de ladite agence de voyage, ajoute Othmane, ont exigé qu’il signe un contrat les déchargeant de toute obligation de restituer la somme payée au cas où les autorités angolaises le refouleraient sur les frontières. Ils lui ont même, assure-t-il, proposé de lui faciliter son entrée sur le territoire angolais grâce à leurs connaissances à l’intérieur du pays ; et cela, contre mille dollars supplémentaires. C’est ce qui a jeté le doute dans son esprit sur l’authenticité du visa obtenu à travers les agences de voyage, et qui s’est d’ailleurs confirmé par la suite.
Pour sa part, Imriheb Ouelt Ekhnafer, secrétaire général de la Fédération du Tourisme qui place sous sa tutelle les agences de voyages assure que « les faux visas sont octroyés par des agences illégalement ouvertes et non reconnues officiellement et que la Fédération condamne fermement ces agissements ». En réponse à la question de savoir comment il est possible d’ouvrir des agences de voyage sans avoir d’autorisation officielle préalable, Imriheb répond qu’il existe dans le pays un marché noir de ces agences et qu’il est très difficile de le maîtriser au sein d’une absence totale de mécanismes de contrôle efficaces, selon son expression.
La succession des incidents et des campagnes de persécution menées par les autorités angolaises contre la communauté mauritanienne ont poussé cette dernière à diffuser un communiqué dans lequel elle met en garde les Mauritaniens contre le fait d’obtenir les visas à Nouakchott et appelle ceux qui souhaitent se rendre en Angola à faire leurs demandes de visas au Maroc ou en Algérie où il existe bien une représentation diplomatique angolaise.
Dans le même contexte, une initiative mauritanienne se faisant appeler « Sauvez la communauté en Angola » a vu le jour. Le chef de cette initiative Albou ouelt El Maaloum réclame que des mesures urgentes soient prises par les autorités officielles afin de sauver la communauté mauritanienne qui fait l’objet de plusieurs vagues d’arrestations. Parmi ces mesures Ouelt El Maaloum cite l’établissement d’une ambassade mauritanienne en Angola. Il assure qu’il existe actuellement des dizaines de prisonniers dans les geôles angolaises et précise que si les vagues d’arrestations sont à l’arrêt en ce moment, compte tenu des fêtes de fin d’années, il s’attend à ce qu’elles reprennent de nouveau.
Pour ce qui est de la position officielle, nous nous sommes adressés au Ministère des Affaires Etrangères et essayé de contacter le service chargé des affaires maghrébines et africaines et des Mauritaniens résidents à l’étranger. A nos questions sur les circonstances de vie de ces jeunes émigrés, un responsable du Ministère qui préfère garder l’anonymat s’est contenté, pour toute réponse, de nous donner des chiffres qui remontent à des statistiques effectuées en l’an 2005 sur le nombre des Mauritaniens à l’étranger. Il s’est enfin excusé de ne pouvoir aborder les conditions de vie des jeunes émigrés, se bornant à dire que l’émigration est finalement une décision personnelle dont les conséquences ne peuvent être assumées que par la personne concernée.