Aujourd'hui, il se prépare à quitter la mine de la SNIM dont l’avenir s’annonce flou selon les propos du doyen Ibrahim ou du père des travailleurs, comme aiment l'appeler les autres mineurs à qui il a appris la transformation de la pierre en minerais de fer.
Nous avons rencontré le doyen Ibrahim devant la mine de "Tzadit" pour qu'il nous raconte comment ont-ils fait pour transformer les mines de fer en une fortune, devenue principale ressource pour le produit national brut de la Mauritanie.
Les débuts d’Ibrahim avec la SNIM datent de 1973 quand il est venu, avec un groupe de jeunes, influencés par la pensée du mouvement des "kadihin" (travailleurs mauritaniens), en provenance de la ville de Atar, où il a fait ses études secondaires. Wissat affirme qu'il s'agissait principalement d'un « souci de nationalisme, typique en cette période. Nous avons été battus, réprimés et emprisonnés. Les tags sur les murs étaient pour nous les meilleurs moyens de sensibilisation du peuple à la nécessité du changement ».
Ibrahim a commencé à travailler pour la SNIM le 8 février 1974. Il touchait un salaire de 8 Ouguiyas mauritaniennes et portait le grade S5, le plus bas de l'entreprise. Les mines ont été nationalisées la même année. Pour le doyen et ses camarades, c'était la réalisation du rêve pour lequel ils étaient venus à Atar. « Nous avons résisté pendant ces années, celles de l'après nationalisation, surtout qu'il y avait beaucoup de crises. Nous sommes restés travailler car nous considérions les mines de fer comme notre deuxième foyer. Nous y passions une grande partie de la journée à travailler loin de nos familles, qui habitaient la ville de Zouirat.
Ibrahim a participé à des sessions de formation en Algérie et en France, l'éloignant pour la première fois de sa famille et ses terres. Amoureux de la vie au sein des mines, il y retourne après avoir gagné une expérience qui lui a permis de continuer jusqu'à maintenant.
En 1992, le doyen a connu sa première alerte sanitaire. Les médecins mauritaniens lui ont diagnostiqué la maladie de silicose à base de 30%. Ils lui ont conseillé de s'éloigner un peu des mines parce que sa maladie pouvait le tuer à n'importe quel moment, mais l'amour qu'il portait pour les mines l'a empêché de les quitter totalement. Il a intégré la section des outils des voitures et des camions et a profité de l'expérience des Américains qui l'ont formé aux engins.
Après huit années de travail loin des mines, le doyen Ibrahim a regagné la mine de nouveau, sur ordre de l'administration de l'entreprise, en raison de son activisme politique, opposé au régime.
Wissat a été ensuite transféré à la mine de "Lamhoudat" malgré le rapport médical l'interdisant de s'approcher des minéraux. Il a été affecté à l'équipe d'extraction, ce qu'il considère comme une sanction qui a duré 3 ans.
Son supplice a continué lorsqu’il a été transféré aux mines "Kalb Alghin 1" et "Anwadhibou". Ce dur comportement de la part des directions de l'entreprise a eu des répercussions positives sur le doyen qui a gagné de l'expérience et pouvait désormais assurer n'importe quelle tâche, ce dont témoignent ses collègues.
En 2013, le doyen a vécu sa deuxième grande crise quand sa femme est décédée après un long combat contre le cancer. Elle a été longtemps soignée au Maroc avant de rentrer mourir chez elle. Ibrahim se rappelle tout le temps de ce triste évènement, surtout que sa femme a été sa partenaire de toujours.
Après plus de quarante ans, Ibrahim ne possède qu'une seule maison, qu'il a commencé à bâtir en 1987, quand l'entreprise avait licencié nombre de mineurs (après le lancement de la mine de "Kalb Alghin). Les mineurs et leurs familles ont été jetés à la rue.
"A ce moment là, nous avons commencé à penser à nous et à nos familles. Il fallait construire des maisons où nous pourrions nous abriter quand nous serons licenciés comme nos camarades, virés à cause de règlements de compte et à cause de la vieillesse", se souvient-il.
Malgré cette vie pleine de labeur, Ibrahim estime que sa participation à bâtir son pays et l'éducation correcte qu'il a donnée à ses enfants constituent son gain le plus précieux. Il en est fier, bien qu'il soit contre leur travail dans les mines. Sa plus grande fierté reste sa formation de travailleurs, devenus aujourd'hui des plus hauts cadres de l'entreprise. Ils lui sont reconnaissants.