En somme, celle-ci n’ont pas le droit d’avoir des papiers d’identité biométriques. Cette pratique d’un autre âge à conduit, à la longue, à construire une société à deux vitesses. Une société dans laquelle certains jouissent de tous les droits alors que d’autres sont relégués au rang de citoyens de seconde zone juste bon à d’obéissants serviteurs. C’est une ségrégation raciale qui ne dit pas son nom. Même les enfants sont victimes de ce racisme inique.
«Le directeur de l’école primaire du quartier a refusé d’inscrire notre fils de 7 ans. Pourquoi ? Tout bonnement parce que le petit n’avait pas de papiers d’enrôlement», témoigne Hawa Mamadou. Assise sous un hangar près de son époux et de ses trois enfants, la vielle femme ne comprend pas comment un directeur d’école peut interdire à un gamin de s’instruire, de surcroit lorsque ce gamin est aussi mauritanien que lui.
El Hadj Mamadou Thiam, né en 1976 à Kiffa, possède un acte de naissance portant le N°030011580570. Il est Mauritanien mais ne parvient toutefois pas à se faire enrôler dans le fichier biométrique. Sa sœur, Aîssata Mamadou, et son demi frère, Sileymani Sow, cherchent aussi à se faire enrôler depuis 4 ans mais en vain. Pourtant, les actes d’état civil de El Hadj Mamadou Thiam, de ses frères et de ses sœurs ont été signés par l’actuel ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, Ahmedou O Abdallah qui avait servi comme préfet à Kiffa. C’est à ne rien comprendre.
Ce traitement à deux vitesses touche également les plus fidèles serviteurs de l’Etat comme c’est le cas de Bâ Amadou Samba, un ancien militaire. A 59 ans, l’ex-sergent qui a combattu dans l’armée Mauritanienne contre le Sahara occidental durant 4 longues années ne comprend pas le traitement qui lui est réservé après tous les sacrifices qu’il a consentis pour défendre la partie. Ses enfants : Marième, Samba et leur grande sœur aînée Souadou âgée de 21 ans, mariée et mère d’un garçon, n’arrivent également pas à se faire enrôler.
Les cas de Mauritaniens que l’administration mauritanienne refuse de reconnaitre comme citoyens, car c’est de cela dont il s’agit, sont très nombreux. Et souvent ces refus provoquent des drames et brisent des carrières ou des vies.
Halima Alassane N’Gaîdé, ancienne élève du Lycée de Boghé s’est elle aussi vue interdire de passer son examen du baccalauréat en juin 2013 par la Direction des examens et des concours relevant du ministère de l’Education nationale. La raison ? Elle n’avait pas été enrôlée. Et pourtant, elle était l’une des plus brillantes de son lycée. Son acte de naissance a été établit en 1994 au centre d’état civil de Téyarett à Nouakchott. «C’est avec le même document que je me suis présentée au concours d’entrée au collège en 2006 et à l’examen du Brevet d’Etudes en 2010. Et j’ai été admise», déclare Halima avant de renchérir la mort dans l’âme : «Je ne comprends pas qu’on m’interdise de me présenter au Bac avec le même document d’état civil. C’est scandaleux et injuste !». Convaincue que l’administration ne veut pas de gens comme elle à l’université, Halima a décidé de ranger ses cahiers et de…se marier.
S.L. est une jeune femme originaire de la localité de Bababé. Désemparée, elle a tenu à conserver l’anonymat. Elle peine à enrôler son enfant né d’une relation hors mariage à l’état civil bien qu’elle ait une existence tout ce qu’il y a de «légale». «Mon fils est né suite à une relation hors mariage. Il s’appelle Ali et a 10 ans. Il a été enregistré à l’état civil de la mairie à sa naissance en 2005. Lorsque j’ai voulu l’enrôler, on m’a exigé le certificat de mariage avec son père. J’ai dit que je n’en avais pas. On m’a dit d’aller l’établir au tribunal du Cadi. Hélas, comment peut-on établir un document pour un mariage qui n’a jamais existé», se lamente-t-elle.
Aîchetou, Oumnasri et Toutou sont trois sœurs. Elles sont aussi arrivées dans une impasse. Une impasse appelée administration. Elles habitent le quartier de Talha, derrière le lycée Technique de Boghé. Aucune d’elles ne dispose d’un extrait du registre national des populations. L’aînée, Aîchettou, est âgée de 23 ans. Son acte de naissance porte le numéro 130202219921745. Elle est aujourd’hui mère de trois enfants : Mohamedou, Khadjettou et Wouratou. Mohamed, leur père, n’est toujours pas enregistré dans le fichier biométrique, ce qui risque de compromettre la scolarité de Oumnasri qui est au collège et de Toutou qui prépare son CEPE.
Que pense l’administration de ce que la population qualifie d’«injustice» ? Le sous-préfet du département de Boghé tient d’abord à minimiser le problème. Pour lui, le nombre de personnes n’ayant pas été enrôlées n’est pas élevé. «La grande majorité des Mauritaniens a été enrôlée. Ceux qui ne le sont pas ne réunissent pas les conditions requises », tranche-t-il sans toutefois dire ce qu’il adviendra des gens qui n’ont pas pu se faire inscrire dans le fichier biométrique. «Ce n’est pas par manque de considération qu’ils ont été laissés en rade mais cela relève de la responsabilité des intéressés et pas de l’Agence Nationale du Registre des Populations et des Titres Sécurisés (ANRPTS) et encore moins des pouvoirs publics», prévient-il.
L’attitude de l’administration révolte Samba Fall, expert-consultant en développement, président du Réseau de la Promotion de la Citoyenneté et de la Bonne Gouvernance (RPCB) et responsable de l’ONG New Vision. Il soutient que l’inscription sur les registres de l’état civil est un «droit fondamental » et un «principe universel des droits de l’homme». «Les mesures imposées aux citoyens doivent être simplifiées. Tous reconnaissent qu’il y’a dans cette opération d’enrôlement des citoyens deux poids et deux mesures. Il s’agit d’une discrimination qui se fait au grand jour. Il est inconcevable dans un pays de voir certains citoyens disposer de leur état civil et d’autres pas du fait des procédures d’enrôlement illégales», s’insurge-t-il. M. Fall prévient que «l’injustice engendre la révolte qui est source de répression qui à son tour génère la guerre et la destruction».